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    Pourquoi nous ne pouvons pas attendre, Lettre aux « Blancs modérés » à propos de la légitime impatience des Noirs

    Par Martin Luther King,

    À l'occasion du quarantième anniversaire de l'assassinat de Martin Luther King, et de la reparution de ses écrits et discours aux éditions Bayard [1], nous republions des extraits choisis d'un de ses textes les plus forts : la Lettre de la geôle de Birmingham. Très loin de l'image aseptisée du pasteur qu'a construite l'idéologie dominante, plus loin encore des appels à la « tolérance », au « vivre-ensemble » et autres mots creux de l'antiracisme étatique et institutionnel, cette lettre propose l'une des analyses les plus profondes du racisme, de ses conséquences subjectives sur celles et ceux qui le subissent, et de la remarquable capacité de cécité et d'indifférence dont il peut faire l'objet, jusque chez les plus sincères antiracistes. Écrite en avril 1963 pendant un séjour en prison, suite à une « action directe de désobéissance civique » (occupation par des Blancs et des Noirs de lieux publics légalement réservés aux Blancs), cette lettre est adressée aux « blancs modérés », c'est-à-dire aux Blancs qui reconnaissent le caractère illégitime de la ségrégation raciale, mais qui reprochent aux activistes noirs d'être trop « impatients », trop « extrémistes », et d'utiliser des moyens de lutte illégaux. Martin Luther King répond d'abord au reproche d'impatience, puis il justifie le recours à la désobéissance civique. Il reproche aux Blancs modérés leur soutien trop faible, leur « paternalisme » et leur croyance au « mythe du temps qui travaille pour vous ». Il répond enfin à l'accusation d'extrémisme, en revendiquant une certaine forme d' « extrémisme positif ».





    Pourquoi nous ne pouvons pas attendre, Lettre aux « Blancs modérés » à propos de la légitime impatience des Noirs

    L'un de vos arguments fondamentaux est que notre action se produit à un mauvais moment.

    Certains ont demandé :

    « Pourquoi ne pas avoir donné aux nouveaux élus le temps d'agir ? ».

    La seule réponse que nous pouvons donner, c'est que le nouveau pouvoir, comme l'ancien, a besoin d'être bousculé pour enfin agir.

    (...)

    L'histoire est la longue et tragique illustration du fait que les groupes privilégiés cèdent rarement leurs privilèges sans y être contraints. Il arrive que des individus soient touchés par la lumière de la morale et renoncent d'eux même à leurs attitudes injustes, mais mes groupes ont rarement autant de moralité que les individus. Nous avons douloureusement appris que la liberté n'est jamais accordée de bon gré par l'oppresseur ; elle doit être exigée par l'opprimé. Franchement, je ne me suis jamais engagé dans un mouvement d'action directe à un moment jugé « opportun », d'après le calendrier de ceux qui n'ont pas indûment subi les maux de la ségrégation.

    « Attendez ! » [2]

    Depuis des années, j'entends ce mot : « Attendez ! ». Il résonne à mon oreille, comme à celle de chaque Noir, avec une perçante familiarité. Cet « Attendez » a presque toujours signifié : « Jamais ! ».

    (...)

    Il nous faut constater avec l'un de nos éminents juristes que « Justice trop tardive est déni de justice ». Nous avons attendu pendant plus de trois cent quarante ans les droits constitutionnels dont nous a dotés notre Créateur. Les nations d'Asie et d'Afrique progressent vers l'indépendance politique à la vitesse d'un avion à réaction, et nous nous traînons encore à l'allure d'une voiture à cheval vers le droit de prendre une tasse de café au comptoir.

    Ceux qui n'ont jamais senti le dard brûlant de la ségrégation raciale ont beau jeu de dire : « Attendez ! ». Mais quand vous avez vu des populaces vicieuses lyncher à volonté vos pères et mères, noyer à plaisir vos frères et sœurs ; quand vous avez vu des policiers pleins de haine maudire, frapper, brutaliser et même tuer vos frères et soeurs noirs en toute impunité ; quand vous voyez la grande majorité de vos vingt millions de frères noirs étouffer dans la prison fétide de la pauvreté, au sein d'une société opulente ; quand vous sentez votre langue se nouer et votre voix vous manquer pour tenter d'expliquer à votre petite fille de six ans pourquoi elle ne peut aller au parc d'attractions qui vient de faire l'objet d'une publicité à la télévision ; quand vous voyez les larmes affluer dans ses petits yeux parce que ce parc est fermé aux enfants de couleur ; quand vous voyez les nuages déprimants d'un sentiment d'infériorité se former dans son petit ciel mental ; quand vous la voyez commencer à oblitérer sa petite personnalité en sécrétant inconsciemment une amertume à l'égard des Blancs ; quand vous devez inventer une explication pour votre petit garçon de cinq ans qui vous demande dans son langage pathétique et torturant : « Papa, pourquoi les Blancs sont si méchants avec ceux de couleur ? » ; quand, au cours de vos voyages, vous devez dormir nuit après nuit sur le siège inconfortable de votre voiture parce que aucun motel ne vous acceptera ; quand vous êtes humilié jour après jour par des pancartes narquoises : « Blancs », « Noirs » ; quand votre prénom est « négro » et votre nom « mon garçon » (quel que soit votre âge) ou « John » ; quand votre mère et votre femme ne sont jamais appelées respectueusement « Madame » ; quand vous êtes harcelé le jour et hanté la nuit par le fait que vous êtes un nègre, marchant toujours sur la pointe des pieds sans savoir ce qui va vous arriver l'instant d'après, accablé de peur à l'intérieur et de ressentiment à l'extérieur ; quand vous combattez sans cesse le sentiment dévastateur de n'être personne ; alors vous comprenez pourquoi nous trouvons si difficile d'attendre.

     

    Il vient un temps où la coupe est pleine et où les hommes ne supportent plus de se trouver plongés dans les abîmes du désespoir. J'espère, Messieurs, que vous pourrez comprendre notre légitime et inévitable impatience.

    « Pourquoi prônez-vous la désobéissance ? »

    Vous exprimez une grande inquiétude à l'idée que nous sommes disposés à enfreindre la loi. Voilà certainement un souci légitime. Comme nous avons si diligemment prôné l'obéissance à l'arrêt de la Cour suprême interdisant, en 1954, la ségrégation dans les écoles publiques, il peut sembler paradoxal, au premier abord, de nous voir enfreindre la loi en toute conscience. On pourrait fort bien nous demander :

    « Comment pouvez-vous recommander de violer certaines lois et d'en respecter certaines autres ? »



    Pourquoi nous ne pouvons pas attendre, Lettre aux « Blancs modérés » à propos de la légitime impatience des Noirs
    La réponse repose sur le fait qu'il existe deux catégories de lois : celles qui sont justes et celles qui sont injustes. Je suis le premier à prêcher l'obéissance aux lois justes. L'obéissance aux lois justes n'est pas seulement un devoir juridique, c'est aussi un devoir moral. Inversement, chacun est moralement tenu de désobéir aux lois injustes. J'abonderais dans le sens de Saint Augustin pour qui « une loi injuste n'est pas une loi ».

     

    Quelle est la différence entre les unes et les autres ? Comment déterminer si une loi est juste ou injuste ? Une loi juste est une prescription établie par l'homme en conformité avec la loi morale ou la loi de Dieu. Une loi injuste est une prescription qui ne se trouve pas en harmonie avec la loi morale. Pour le dire dans les termes qu'emploie saint Thomas d'Aquin, une loi injuste est une loi humaine qui ne plonge pas ses racines dans la loi naturelle et éternelle. Toute loi qui élève la personne humaine est juste. Toute loi qui la dégrade est injuste. Toute loi qui impose la ségrégation est injuste car la ségrégation déforme l'âme et endommage la personnalité. Elle donne à celui qui l'impose un fallacieux sentiment de supériorité et à celui qui la subit un fallacieux sentiment d'infériorité.

    (...)

    Nous ne pourrons jamais oublier que tous les agissements de Hitler en Allemagne étaient « légaux » et que tous les actes des combattants de la liberté en Hongrie étaient « illégaux ». Il était « illégal » d'aider et de réconforter un juif dans l'Allemagne de Hitler. Mais je suis sûr que si j'avais vécu en Allemagne à cette époque-là, j'aurais aidé et réconforté mes frères juifs même si c'était illégal.

    (...)

    « Vous provoquez des tensions ! »

    Je dois vous faire deux aveux sincères, mes frères chrétiens et juifs. Tout d'abord je dois vous avouer que, ces dernières années, j'ai été gravement déçu par les Blancs modérés. J'en suis presque arrivé à la conclusion regrettable que le grand obstacle opposé aux Noirs en lutte pour leur liberté, ce n'est pas le membre du Conseil des citoyens blancs ni celui du Ku Klux Klan, mais le Blanc modéré qui est plus attaché à l'« ordre » qu'à la justice ; qui préfère une paix négative issue d'une absence de tensions à une paix positive issue d'une victoire de la justice ; qui répète constamment : « Je suis d'accord avec vous sur les objectifs, mais je ne peux approuver vos méthodes d'action directe » ; qui croit pouvoir fixer, en bon paternaliste, un calendrier pour la libération d'un autre homme ; qui cultive le mythe du « temps-qui-travaille-pour-vous » et conseille constamment au Noir d'attendre « un moment plus opportun ». La compréhension superficielle des gens de bonne volonté est plus frustrante que l'incompréhension totale des gens mal intentionnés. Une acceptation tiède est plus irritante qu'un refus pur et simple.

    (...)

    J'avais espéré que les blancs modérés le comprendraient : la loi et l'ordre ont pour objet l'établissement de la justice ; quand ils viennent à y manquer, ils se transforment en dangereux barrages dressés contre le progrès social. J'avais espéré que les blancs modérés le comprendraient : l'état de tension actuel dans le Sud n'est qu'une transition nécessaire : il nous faut sortir d'une phase détestable de paix négative, où le noir accepte passivement son sort injuste, et entrer dans une phase de paix positive et pleine de sens, où tous les hommes respecteront la dignité et la valeur de la personne humaine.



    Pourquoi nous ne pouvons pas attendre, Lettre aux « Blancs modérés » à propos de la légitime impatience des Noirs
    En réalité, ce n'est pas nous qui créons la tension en nous lançant dans l'action directe non-violente de désobéissance civique. Nous nous contentons de rendre visible une tension cachée qui existe déjà. Nous l'étalons au grand jour, là où elle peut être observée et traitée. Comme un abcès qui ne peut pas être traité et guéri tant qu'il reste interne, invisible, mais qui doit être ouvert et exposé, dans toute sa laideur purulente, aux remèdes naturels que sont l'air et la lumière, de même l'injustice doit être exposée, avec toutes les tensions que cela entraîne, à la lumière de la conscience humaine et à l'air de l'opinion publique, avant de pouvoir être guérie.

     

    Dans votre déclaration, vous affirmez que nos actions, bien que pacifiques, doivent être condamnées car elles précipitent la violence. Mais peut-on procéder à une telle assertion en bonne logique ?

    Cela ne revient-il pas à condamner la victime d'un vol sous prétexte qu'en ayant de l'argent elle a poussé le coupable à commettre un acte de malhonnêteté répréhensible ?

    Cela ne revient-il pas à condamner Socrate sous prétexte que son inébranlable attachement à la vérité et ses réflexions philosophiques ont poussé une opinion publique dévoyée à lui faire boire la ciguë ?

    Cela ne revient-il pas à condamner Jésus, sous prétexte que son souci sans pareil de Dieu et sa soumission incessante à la volonté de celui-ci ont précipité le geste pervers de ceux qui l'ont crucifïé ?

    Comme les juges fédéraux l'ont sans cesse affirmé et comme nous devons l'admettre : il est immoral de demander à un individu qu'il renonce à s'efforcer d'obtenir ses droits constitutionnels fondamentaux sous prétexte que sa quête précipite la violence. La société doit protéger la victime et châtier le voleur.

    « Faîtes confiance au temps : il travaille pour vous ! »

    J'avais également espéré que les Blancs modérés rejetteraient le mythe du « temps-qui-travaille-pour-vous ».

    J'ai reçu ce matin une lettre d'un de nos frères blancs au Texas. Il me dit :

    « Tous les chrétiens savent que les personnes de couleur obtiendront un jour l'égalité des droits, mais il est possible que votre hâte religieuse soit trop grande. Il a fallu près de deux mille ans à la chrétienté pour accomplir ce qu'elle a accompli. Il faut du temps pour que l'enseignement du Christ s'impose ici-bas. »

    Tout ce que dit mon correspondant résulte d'une conception tragiquement erronée de l'action du temps. Prétendre que le temps, à lui seul, guérira inéluctablement tous les maux, voilà une idée étrangement irrationnelle. En réalité, le temps est neutre ; il peut être utilisé pour construire ou pour détruire. J'en suis venu à penser que les hommes de mauvaise volonté l'ont mis à profit bien plus efficacement que les hommes de bonne volonté. Notre génération ne doit pas se reprocher seulement les actes et les paroles au vitriol des méchants, mais aussi l'effrayant silence des justes. Nous devons admettre que le progrès de l'humanité ne roule jamais sur les roues de l'inéluctabilité. Il n'est amené que par les efforts inlassables et persistants des hommes qui ont la volonté de collaborer à l'oeuvre de Dieu. Sans ce dur labeur, le temps lui-même devient l'allié des forces de stagnation sociale.

    (...)

    « Ne soyez pas extrêmistes ! »

    Vous qualifiez d'extrémiste l'action que nous avons menée à Birmingham. Au début, j'étais assez déçu de voir certains de mes confrères pasteurs considérer notre effort de non-violence comme une initiative émanant de milieux extrémistes.

    (...)



    Pourquoi nous ne pouvons pas attendre, Lettre aux « Blancs modérés » à propos de la légitime impatience des Noirs
    Les opprimés ne peuvent demeurer dans l'oppression à jamais. Le moment vient toujours où ils proclament leur besoin de liberté. Et c'est ce qui se produit actuellement pour le Noir américain. Quelque chose, au-dedans de lui-même, lui a rappelé son droit naturel à la liberté et quelque chose en dehors de lui-même lui a rappelé que cette liberté, il pouvait la conquérir. Consciemment ou inconsciemment, il a été saisi par ce que les Allemands appellent le Zeitgeist [3] et, avec ses frères noirs d'Afrique, ses frères bruns ou jaunes d'Asie, d'Amérique du Sud et des Antilles, il avance avec un sentiment d'urgence cosmique vers la Terre promise de la justice raciale.

     

    En observant cet élan vital qui s'est emparé de la communauté noire, chacun devrait aisément s'expliquer les manifestations qui ont lieu sur la voie publique. Il y a chez le Noir beaucoup de ressentiments accumulés et de frustrations latentes ; il a bien besoin de leur donner libre cours.

    (...)

    S'il ne défoule pas, par des voies non violentes, ses émotions réprimées, celles-ci s'exprimeront par la violence. Ce n'est pas une menace mais un fait historique. Je n'ai pas demandé à mon peuple : « Oublie tes sujets de mécontentement. » J'ai tenté de lui dire, tout au contraire, que son mécontentement était sain, normal, et qu'il pouvait être canalisé vers l'expression créatrice d'une action directe non violente. C'est cela qui est dénoncé aujourd'hui comme extrémiste.

    Je dois admettre que j'ai tout d'abord été déçu de le voir ainsi qualifié. Mais en continuant de réfléchir à la question, j'ai progressivement ressenti une certaine satisfaction d'être considéré comme un extrémiste.

    Jésus n'était-il pas un extrémiste de l'amour – « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, priez pour ceux qui vous maltraitent » ?

    Amos n'était-il pas un extrémiste de la justice – « Que le droit jaillisse comme les eaux et la justice comme un torrent intarissable » ? (...)

    Abraham Lincoln n'était-il pas un extrémiste – « Notre nation ne peut survivre mi-libre, mi-esclave » ?

    Thomas Jefferson n'était-il pas un extrémiste – « Nous tenons ces vérités pour évidentes par elles-mêmes : tous les hommes ont été créés égaux » ?



    Pourquoi nous ne pouvons pas attendre, Lettre aux « Blancs modérés » à propos de la légitime impatience des Noirs
    Aussi la question n'est-elle pas de savoir si nous voulons être des extrémistes, mais de savoir quelle sorte d'extrémistes nous voulons être. Serons-nous des extrémistes pour l'amour ou pour la haine ? Serons-nous des extrémistes pour la préservation de l'injustice ou pour la cause de la justice ?

     

    (...)

    J'avais espéré que les blancs modérés le comprendraient. Il se peut que j'aie été trop optimiste. Il se peut que j'ai trop attendu d'eux. J'aurais dû comprendre que parmi les membres d'une race qui en a opprimé une autre, il en est peu qui puissent comprendre ou mesurer les revendications profondes et les espoirs passionnés de ceux qui ont été opprimés ; et moins encore qui aient la lucidité de voir que seule une action vigoureuse, persistante, déterminée, peut déraciner l'injustice. C'est pourtant avec un sentiment de reconnaissance que je vois certains de nos frères blancs saisir la signification de notre révolution sociale et s'y dévouer. Leur nombre est bien trop faible encore, mais leur qualité est considérable. Certains, comme Ralph Mc Gill, Lilian Smith, Harry Golden et James Abb, ont témoigné par écrit de notre lutte, en des termes prophétiques et pénétrants. D'autres ont manifesté avec nous dans les rues anonymes du Sud. Ils ont langui dans des prisons immondes, infestées de cafards, subi les abus et les brutalités de policiers en colère qui les traitaient de « sales lécheurs de nègres ». À l'inverse de beaucoup de leurs frères et sœurs modérés, ils ont reconnu l'urgence du moment et senti le besoin d'un puissant antidote, sous forme d'action, pour combattre la maladie de la ségrégation.

    Post-scriptum

    La Lettre de la geôle de Birmingham figure parmi les textes regroupés dans le recueil Je fais un rêve, pubié aux éditions Bayard (avril 2008, 12 euro)

    Textes de Martin Luther King

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    Notes

    [1] Martin Luther King, Je fais un rêve, Bayard éditions, 2008, 12 euro

    [2] Les intertitres sont rajoutés par le Collectif Les mots sont importants

    [3] Littéralement : « esprit du temps ».



    Lundi 12 Mai 2008


    http://lmsi.net


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    Suite à la "Journée de la femme" 2008, je voudrais vous présenter certains chiffres et statistiques sur la condition de la femme dans le monde.

    Mais contre toute attente et au risque d'en décevoir plus d'un, il ne sera pas question de la femme musulmane, dont plusieurs états du monde, soucieux de leurs bien-être, s'occupent d'ailleurs tous les jours très "démocratiquement", comme par exemple en Irak ou en Afghanistan, en ayant déjà provoqué des centaines de milliers de victimes civiles sur à peine 7 ans....

    Non, il ne sera pas non plus question de la femme africaine que ces mêmes états "protègent" depuis si longtemps en soutenant et en installant militairement et financièrement les dociles et complaisants régimes, dictatures ou guérillas qui servent leurs propres intérêts....économiques. Le tout démocratiquement, of course..

    Non, pour une fois, je vous propose de parler de nos femmes, de nos mères, de nos filles...occidentales, chrétiennes...celles d'Europe et d'Amérique.

    Ceci dans l'unique but d'attirer notre regard sur les souffrances qui sont maintenues dans le silence par la stigmatisations organisées à l'encontre des autres cultures, communautés, religions...

    Mais au fait? A qui profite le crime?

    ...

    Et oui, à force de ne systématiquement voir que la paille qui se trouve dans l'œil de notre "voisin", c'est la poutre qui se trouve dans le nôtre, et qui bastonne tranquillement les femmes de nos pays, que nous nous permettons d'occulter...

    En voici une démonstration éloquente:

    1) En France : égalité, liberté, fraternité. Oui, mais...sauf pour les femmes...

     

    Rapport Henrion - février 2001
    Ministère de la Santé


    Sur 652 femmes victimes d'homicides entre 1990 et 1999, sur Paris et sa proche banlieue, la moitié a été tuée par leur mari ou leur compagnon. Un chiffre terrifiant, révélé par un rapport sur les violences conjugales.
    "En France, une femme meurt de violences conjugales tous les cinq jours", explique le professeur Roger Henrion, membre de l'Académie nationale de médecine et responsable de cette étude pour le ministère de la Santé.
    L'équipe du professeur a interrogé au hasard un échantillon de 7000 femmes, âgées de 20 à 59 ans, habitant la capitale et sa petite couronne. Il ressort que 10% d'entre elles ont subi des violences conjugales au cours des douze derniers mois. Insultes, harcèlement moral, agressions physiques, viols, la liste est longue de ces sévices commis dans l'intimité des couples.
    Les conséquences sont à chaque fois dramatiques. Plusieurs femmes victimes souffrent de troubles émotionnels (dépression, boulimie, anorexie ...), certaines, à bout de nerfs, se suicident. Et une partie meurt carrément sous les coups de leur conjoint. "Parmi les victimes présentées dans le rapport, 30 % ont été poignardées, 30 % ont été abattues par arme à feu, 20 % ont été étranglées et 10 % ont été rouées de coups jusqu'à la mort", précise le professeur Henrion.
    Le profil de l'agresseur n'est pas toujours celui que l'on s'imagine.
    "Il s'agit en majorité d'hommes bénéficiant par leur fonction professionnelle d'un certain pouvoir. On remarque une proportion très importante de cadres (67%), de professionnels de la santé (25%) et de membres de la police ou de l'armée", commente Roger Henrion.
    Ces violences conjugales restent bien trop souvent taboues et franchissent peu les murs des domiciles familiaux. Mais quand les femmes parlent, elles s'adressent en premier lieu à leur médecin. "Ce dernier a un rôle clé dans le dépistage des violences, le recueil de l'histoire et la rédaction d'un certificat, pièce essentielle lors d'un dépôt d'une plainte", selon le professeur Henrion. Mais le médecin est souvent pris en tenaille entre le secret médical et la non-assistance à personne en danger.
    Un site Internet (
    www.sivic.org) est mis à la disposition des médecins pour se former à l'ensemble de ces problèmes.

    La violence conjugale est la première cause de mortalité des femmes de 16 à 44 ans en France...

     

    2) En Espagne, ce n'est que depuis 1999 que la femme est légalement libérée de l'obéissance à son mari !... Leur Livre Saint n'est pourtant pas le Coran.

     

    En 1997, 75 femmes sont mortes suite à une agression de leur mari.
    La révision du code pénal espagnol en 1999 est capitale. Elle prévoit que la femme ne doive plus « entière obéissance à son mari »
    . La notion de « violence psychique » est reconnue. La récidive transforme la faute en délit. Enfin ! Mais cela ne suffit pas.
    En 2000, 66 femmes meurent à nouveau sous les coups de leur conjoint. Dans l'enquête publiée en mars 2001,
    640 000 femmes s'avouent victimes de mauvais traitements, et près de 2 millions d'entre elles le sont (soit plus d'une femme sur dix).

    Le pacte du silence autour de la vie privée n'en finit pas de se briser : les plaintes augmentent d'au moins 10 % chaque année, jusqu'à atteindre (en 2001) plus de 20 000 par an. Cependant seules 5 % à 7 % des femmes violentées attentent une action en justice. Elles craignent les représailles, et savent que cela ne servira pas à grand chose : les décisions de justice sont souvent incohérentes et 80 % des cas jugés pour violences bénéficient de l'impunité.

     

    3) Aux État-Unis, terre des droits de l'homme ET de la femme par excellence? Pas si sûr... :

     

    - Plus de 4 millions de femmes américaines sont abusées physiquement ou violentées par leur mari, petit ami ou une personne de leur connaissance chaque année, soit 1 sur 3 qui le sont au moins une fois dans leur vie.

    - Aux États-Unis, 7 millions de femmes sont violées ou sexuellement agressées chaque année.

    - Toutes les 15 secondes, une femme est abusée ou violentée aux États-Unis.

    - De 25 à 30 % des femmes abusées sexuellement ou battues le sont, au moins, une fois par semaine.

    - Entre 1983 et 1991, le nombre de cas de violence domestique a augmenté de 117 %.

    - 50 % des femmes sans-abri le deviennent suite à des violences domestiques.

    - En 1997 et 1998, plus de 2 200 femmes enceintes ont été emprisonnées et plus de 1 300 bébés ont été mis au monde par des détenues.

    - 56 % des américains disent connaître au moins une personne dans leur entourage (amis, collègue de travail) qui a été impliquée dans une affaire de violence domestique.

    - Pour bien comprendre la portée de ces chiffres, il faut savoir que, par peur des représailles, 59% des viols ou tentatives de viols ne sont pas rapportés à la police.

    - Pour information, parallèlement et toujours aux États-Unis d'Amérique, entre 22 et 25 % des hommes en prison sont victimes de viols.

     

    4) La prostitution dans les pays de la liberté de la femme :

     

    - on estime que, chaque année, environ 200 000 femmes en provenance des pays de l'Est tombent entre les mains des proxénètes européens.

    - Selon le ministère des affaires sociales, l'Italie compte environ 50 000 prostituées, dont la moitié sont étrangères. Le chiffre d'affaires qui en découle s'élève, d'après les estimations minimales fournies par la police, à 93 millions d'euros par mois.

    - A Paris, la moitié des 7 000 prostituées seraient étrangères - dont 300 Albanaises. En France, la prostitution, qui concerne 15 000 femmes, engendre un chiffre d'affaires annuel évalué à 3 milliards d'euros

    - L'Office fédéral de la police estime à 14 000 le nombre de personnes prostituées en Suisse dont 7 050 d'entre elles exerceraient dans les cantons de Zurich, Berne, Bâle, Genève, Lucerne et Tessin. Les personnes étrangères représentent 75% du total de la prostitution, parmi lesquelles on compte beaucoup de Françaises. A ce chiffre, il faut ajouter le nombre de personnes prostituées de sexe masculin, estimé entre 1 000 et 2 000. Les associations d'aide avancent pour leur part le chiffre de 4 000 personnes dont 70% seraient d'origine étrangère.

    - Le ministère de la Justice estime que 30 000 personnes se prostituent aux Pays-Bas. Les formes les plus connues de prostitution sont les sex-clubs et la prostitution en vitrine. Selon le ministère des Affaires Etrangères, 25% des personnes prostituées pratiquent ces formes de prostitution. Le nombre de bordels et de sex-clubs est estimé à envrion 7 000 aux Pays-Bas, dont 2 000 bordels. On peut également ajouter à cette liste la prostitution dans les hôtels, les bars, les services de call-girls etc. « Dans de nombreuses communes, la prostitution de rue est interdite en raison du trouble à l'ordre public et des nuisances qu'elle peut causer ».

    - Le prétendu « plus vieux métier du monde » servirait de « rempart contre le viol ». Cet argument vise à dissimuler une tragique réalité : 80 % des prostituées auraient subi des abus sexuels dans leur enfance et bien plus nombreuses sont celles qui en subissent de la part de leurs "clients".

    Non, la prostitution n'est pas une activité professionnelle; elle est une exploitation de la femme par l'homme.

    Selon une récente étude menée à San Francisco, 82% des prostituées interrogés déclarent avoir été agressées physiquement, 83% menacées par des armes, 68% enlevées alors qu'elles travaillaient comme prostituées et 84% sont devenues ou ont été sans-abris.

    - En France, selon la Commission des affaires sociales, 65% des personnes prostituées exerceraient désormais dans la rue et 25% dans les hôtels ou en appartements. 20% des prostituées seraient mineures.

     

    Alors, sachant tout cela, rappelons-nous :

    Elles sont là, tout près de nous...et elles ne portent pas de voiles...

    Il s'agit de nos Mères, de nos Sœurs, de nos Amies, de nos Voisines, de nos Collègues ...

    Alors, si nous sommes les Hommes que nous prétendons être, arrêtons de nous "voiler" la face et osons nous poser cette terrible question :

    " Qui les entend? Qui les protège? Qui les soutient?"

    ............

    Arc-en-ciel'ment vôtre

    Romano & Natalia

     

    Sources:

     
     
     
     
     



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  • "Notre peur la plus profonde n'est pas que nous ne soyons pas à la hauteur,

    Notre peur la plus profonde est que nous sommes puissants au delà de toute limite,

    C'est notre propre lumière et non pas notre obscurité qui nous effraie le plus.

    Nous nous posons la question : ' Qui suis-je, moi, pour être brillant, talentueux et merveilleux ?

    En fait, qui êtes-vous pour ne pas l'être ?

    Vous êtes un enfant de Dieu. Vous restreindre et vivre petit ne rends pas service au monde,

    L'illumination n'est pas de vous rétrécir pour éviter d'insécuriser les autres,

    Nous sommes nés pour rendre manifeste la gloire de Dieu qui est en nous,

    Elle ne se trouve pas seulement chez quelques élus : elle est en chacun de nous, et au fur et à mesure que nous laissons briller notre propre lumière, nous donnons inconsciemment aux autres la permission de faire de même.

    En nous libérant de notre propre peur, notre présence libère automatiquement les autres..."

    Extrait du discours prononcé par Nelson Mandela lors de son intronisation à la présidence de la République de l'Afrique du Sud, 1994 (écrit par une femme : Marianne Williamson).

    ... Jouez vous aussi votre rôle en diffusant ces textes qui élèvent l'âme... et lui permet d'éffleurer l'Esprit...

    Arc-en-ciel'ment vôtre

    Natalia et Romano


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  • Le "bon temps des colonies" n'est "bon" que si on n'y regarde pas de trop près et qu'on pratique la mémoire sélective et le négationisme...

    [George Monbiot - The Guardian - 08/01/2008 - Trad. Grégoire Seither]

    Quand l'empire britannique organisait la famine et interdisait l'aide aux victimes

    Dans son livre, "Late Victorian Holocausts", publié en 2001, Mike Davis raconte les famines des années 1870 qui ont tué entre 12 et 29 millions de personnes en Inde. L'originalité de l'étude de Davis est de démontrer que, loin d'être une fatalité, ces millions de morts sont la cause directe d'une politique de la couronne britannique.

    En effet, quand, en 1876, le courant marin El Niño a provoqué une sécheresse suivie d'une famine dans la province de Decca, les réserves de riz et de blé en Inde étaient au plus haut. Mais le Vice-Roi des Indes, Lord Lytton, plutôt que d'utiliser ses réserves pour venir en aide aux populations frappées par la famine, décida, contre l'avis de ses conseillers, d'exporter le blé et le riz vers l'Angleterre. Entre 1877 et 1878, au sommet de la famine, l'Inde a exporté une quantité record de 6,4 millions de bushels de blé.

    Quand les organisations caritatives anglaises proposèrent d'envoyer du blé et du riz en aide d'alimentaire d'urgence, les marchands de blé, inquiets que cela pourrait provoquer une baisse du prix du blé et donc réduire leurs bénéfices, obtinrent de la part de l'administration des mesures douanières en vue de "décourager autant que possible l'aide d'urgence aux populations affectées".

    Le parlement britannique fit voter la loi "Anti-contributions charitables" (Anti-Charitable Contributions Act) en 1877 qui interdisait "sous peine de prison, les donations charitables provenant de fondations privées et qui pourraient interférer avec la fixation par le marché des prix céréaliers". L'unique aide charitable autorisée était le regroupement des populations affamées dans des camps de travail - mais on y refusait l'accès à toute personne trop malnutrie pour avoir la force de travailler.

    Ceux qu'on admettait dans les camps devaient réaliser des durs travaux de terrassement et d'assèchement, tout en recevant une ration alimentaire plus faible que celle octroyée par les nazis aux prisonniers du camp de Buchenwald. En 1877, la mortalité dans les camps de travail était de 94%.

    Alors que des millions mourraient dans les campagnes, le gouvernement impérial - qui avait besoin d'argent pour financer la guerre en Afghanistan - lança une campagne militaire "dans le but de recouvrir les arriérés d'impôts accumulés par les paysans lors de la sécheresse". Le zèle impitoyable des collecteurs d'impôts, soutenus par la brutalité de l'armée britannique et des ses auxiliaires, acheva de ruiner ceux qui avaient survécu à la famine.

    Même dans les régions traditionnellement exportatrices de céréales, les politiques gouvernementales - exactement comme celles de Staline en Ukraine - causèrent la famine et tuèrent des millions de personnnes. Ainsi dans les provinces du Nord-Ouest, l'Oud et le Pendjab, qui avaient connues des récoltes record dans les trois années précédentes, au moins 1,25 millions de personnes moururent de faim - tandis que des convois militaires protégeaient les charrois de blé et de riz transportés vers les ports, pour être exportés. (...)

    La sale guerre oubliée contre les Mau Mau en 1950

    Trois livres récents - "Britain's Gulag" par Caroline Elkins, "Histories of the Hanged" par David Anderson, et "Web of Deceit" par Mark Curtis - racontent comment, dans les années 1950, les colons blancs et les troupes britanniques écrasèrent la révolte des Mau Mau au Kenya.

    Chassés des meilleures terres agricoles et privés de droits politiques, les membres de l'ethnie Kikuyu tentèrent d'organiser la résistance contre l'arbitraire colonial. Quand des milices armées Kikuyu attaquèrent des fermes de colons blancs, la couronne britannique réagit en déportant près de 400 000 personnes dans des camps de concentration. Dans ces camps, tortures et exécutions étaient quotidiennes.

    Afin de "priver les rebelles du soutien de la population", le reste de la population Kikuyu (soit près d'un million de personnes) fut regroupé de force dans des "villages fortifiés" où les conditions sanitaires étaient déplorables. L'ethnie Kikuyu perdit la plus grande partie de ses terres dans l'opération - au profit des propriétés des colons ou d'autres groupes ethniques plus dociles vis à vis de l'administration coloniale.

    Dans les camps de concentration, l'armée donna la pleine mesure de la "guerre anti-terroriste", s'inspirant des méthodes de l'armée française en Indochine. Les prisonniers étaient systématiquement torturés afin qu'ils dénoncent les chefs du mouvement.

    Les méthodes d'interrogatoire courantes étaient - selon de très nombreux rapports officiels - de "couper les oreilles au rasoir, transpercer les tympans, brûler les yeux avec le bout d'une cigarette allumée, fouetter ou bastonner jusqu'à la mort, verser de la paraffine sur un membre d'un groupe de suspects et le bruler vif afin de faire parler les autres".

    Les soldats britanniques s'équipaient de sécateurs afin de couper les testicules ou les doigts des suspects interrogés. On retrouvera ces méthodes dans les années 1970, en Irlande du Nord ainsi que - plus récemment - en Irak.

    Très souvent les interrogatoires étaient confiés à des auxiliaires de l'armée, recrutés parmi les colons locaux. Dans un témoignage de l'époque, l'un de ces colons raconte avec enthousiasme comment il a "travaillé un rebelle" : "Quand j'en ai eu fini avec lui, non seulement je lui avais coupé les couilles, mais en plus il n'avait plus d'oreilles et son oeil droit pendait hors de l'orbite".

    Le célèbre photographe de guerre Don McCullin, qui participa à la campagne anti-Mau Mau lors de son service militaire, raconte que, lors des patrouilles, les soldats avaient reçu la consigne qu'ils pouvaient librement ouvrir le feu sur n'importe qui, sans sommation, "à condition que la personne en question soit noire" (. . .)

    [Dans les mémoires de la mission africaine (Letters from the African Mission - 1930-1960 - SVD), un missionnaire raconte comment les écoliers noirs se rendant à l'école à cette époque étaient pris pour cible par les soldats. "Ils s'amusaient à faire courir les enfants dans les champs et leurs tiraient dessus comme s'ils étaient des perdrix. Une jeune fille a été grièvement blessée et abandonnée sur la route par les soldats. Quand nous nous sommes plaints à l'armée, le commandant nous a répondu qu'il était dans l'incapacité d'identifier les 'mauvais éléments' qui se livraient à ce genre d'actions et nous a recommandé de ne plus laisser sortir les enfants sans une escorte blanche. Or ce n'est pas des actions de mauvais éléments, mais bien un comportement général de notre armée.

    Quand aux jeunes filles dans les villages ou dans les champs, elles risquaient à tout moment d'être violentées par les soldats, qui faisaient de véritables razzias nocturnes pour se procurer 'de la chair fraiche'. Un de nos chapelains a essayé de sermonner ces jeunes hommes qui, en Angleterre, n'oseraient pas se comporter ainsi vis à vis de civils innocents. Ils lui ont répondu qu'on n'était pas en Angleterre et qu'il ne s'agissait de que de nègres sauvages qui ne connaissaient pas de sentiments humains".]

    Ce ne sont là que deux exemples parmi plus de vingt récits d'atrocités supervisées et organisées par le gouvernement britannique ou par les colons britanniques au cours du XXè siècle : parmi ces massacres, citons par exemple le génocide des Tasmaniens, les punitions collectives contres la population en Malaisie, les bombardements aveugles de villages dans le Sultanat d'Oman, la sale guerre au Nord-Yémen dont 90% des victimes furent des civils, l'évacuation forcée des habitants indigènes de Diego Garcia pour faire place à une base secrète de l'armée U.S. et britannique. . .

    http://books.guardian.co.uk/comment/story/0,,1674478,00.html


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  • Voilà le genre de Vérité Historique qui devrait se trouver dans livres scolaires à la place des monstueux mensonges dont on rempli le crâne de nos enfants....
     
    par Éric Toussaint
     
    1ere partie :

    Le début de la mondialisation/globalisation remonte aux conséquences du premier voyage de Christophe Colomb qui l'a amené en octobre 1492 à débarquer sur les rivages d'une île de la mer Caraïbe. C'est le point de départ d'une intervention brutale et sanglante des puissances maritimes européennes dans l'histoire des peuples des Amériques, une région du monde qui, jusque là, était restée à l'écart de relations régulières avec l'Europe, l'Afrique et l'Asie. Les conquistadors espagnols et leurs homologues portugais, britanniques, français, hollandais |1| ont conquis l'ensemble de ce qu'ils ont convenu d'appeler les Amériques |2| en provoquant la mort de la grande majorité de la population indigène afin d'exploiter au maximum les ressources naturelles (notamment l'or et l'argent) |3|. Simultanément, les puissances européennes sont parties à la conquête de l'Asie. Plus tard, elles ont complété leur domination par l'Australasie et enfin l'Afrique.

    En 1500, juste au début de l'intervention brutale des Espagnols et des Portugais en Amérique centrale et du Sud, cette région comptait au moins 18 millions d'habitants (certains auteurs avancent des chiffres beaucoup plus élevés allant jusqu'à près de 100 millions |4|). Un siècle plus tard, il ne restait plus qu'environ 8 millions d'habitants (colons européens et premiers esclaves africains compris). Dans le cas de la plupart des îles de la mer Caraïbe, l'ensemble des indigènes a été exterminé. A noter que pendant une longue période, les Européens, soutenus par le Vatican |5|, ne considéraient pas les indigènes des Amériques comme des êtres humains |6|. C'était bien commode pour les exterminer et les exploiter.

    Tableau 1. Comparaison entre l'évolution de la population de l'Europe occidentale et celle de l'Amérique latine entre 1500 et 1820 (en millions)

                                          1500      1600       1700      1820

    Europe Occidentale       57           74          81          133

    Amérique Latine           18            8*         12*         21

    (*) Ces deux chiffres représentent les indigènes des Amériques, les colons européens et esclaves noirs amenés de foces d'Afrique.

    Calculs de Eric Toussaint sur la base de Anges Maddison, 2001

    En Amérique du Nord, la colonisation européenne a commencé au 17e siècle, essentiellement conduite par l'Angleterre et la France, puis a connu une expansion rapide au 18e siècle, époque marquée aussi par une importation massive d'esclaves africains. Les populations indigènes ont été exterminées ou repoussées hors des zones d'implantation des colons européens. En 1700, les indigènes constituaient les trois quarts de la population ; en 1820, leur proportion n'était plus que de 3%.

    Jusqu'à l'intégration forcée des Amériques dans le commerce planétaire, l'axe principal des échanges commerciaux intercontinentaux concernait la Chine, l'Inde et l'Europe7. Le commerce entre l'Europe et la Chine empruntait des voies terrestres et maritimes (via la mer Noire) |7|. La principale voie qui reliait l'Europe à l'Inde (que ce soit au Nord Ouest de l'Inde, la région du Gujarat ou, au Sud-Ouest, le Kerala avec les ports de Calicut et de Cochin) passait par la mer Méditerranée, puis Alexandrie, la Syrie, la péninsule arabique (le port de Muscat) et enfin la mer d'Arabie. L'Inde jouait également un rôle actif dans les échanges commerciaux entre la Chine et l'Europe.

    Jusqu'au 15e siècle, les différents progrès techniques réalisés en Europe dépendaient des transferts de technologie depuis l'Asie et le monde arabe.

    A la fin du 15e siècle et au cours du 16e siècle, le commerce commence à emprunter d'autres routes. Au moment où le Génois Christophe Colomb, au service de la couronne espagnole, ouvre la route maritime vers les « Amériques » |8| par l'Atlantique en prenant la direction de l'Ouest, Vasco de Gama, le navigateur portugais cingle vers l'Inde en empruntant aussi l'océan Atlantique mais en faisant cap vers le Sud. Il longe les côtes occidentales de l'Afrique du Nord au Sud, pour ensuite prendre la direction de l'Est après avoir croisé le Cap de Bonne Espérance au sud de l'Afrique |9|. La violence, la coercition et le vol sont au centre des méthodes employées par Christophe Colomb et Vasco de Gama afin de servir les intérêts des têtes couronnées d'Espagne et du Portugal. Au cours des siècles qui suivront, les puissances européennes et leurs serviteurs utiliseront systématiquement la terreur, l'extermination et l'extorsion combinées à la recherche d'alliés locaux prêts à se mettre à leur service. De nombreux peuples de la planète voient le cours de leur histoire bifurquer brutalement sous les coups de fouet des conquistadors, des colons et du capital européen. D'autres peuples subissent un sort plus terrible encore car ils sont exterminés ou réduits à la situation d'étranger dans leur propre pays. D'autres enfin sont transplantés de force d'un continent vers un autre et réduits en esclavage. Certes l'histoire qui a précédé le 15e siècle de l'ère chrétienne a été marquée à de nombreuses occasions par des conquêtes, des dominations et la barbarie mais celles-ci ne concernaient pas encore toute la planète. Ce qui est frappant au cours des cinq derniers siècles, c'est que les puissances européennes sont parties à la conquête du monde entier et, en trois siècles, ont fini par mettre en relation de manière brutale (presque) tous les peuples de la planète. En même temps, la logique capitaliste a finalement réussi à dominer tous les autres modes de production (sans nécessairement les éliminer entièrement). A partir de la fin du 15e siècle, la marchandisation capitaliste du monde a connu un premier grand coup d'accélérateur, d'autres ont suivi notamment au 19e siècle avec la diffusion de la révolution industrielle à partir de l'Europe occidentale et la colonisation « tardive » de l'Afrique par les puissances européennes. Les premières crises économiques internationales liées aux cycles du capital (dans l'industrie, la finance et le commerce) ont explosé dès le début du 19e siècle et ont provoqué notamment les premières crises de la dette |10|. Le 20e siècle a été le théâtre de deux guerres mondiales dont l'épicentre était l'Europe et de tentatives infructueuses de construction du socialisme. Le virage du capitalisme mondial vers le néolibéralisme à partir des années 1970 et la restauration du capitalisme dans l'ex-bloc soviétique et en Chine ont donné un nouveau coup d'accélérateur à la mondialisation/globalisation.

    Deuxième voyage intercontinental de Vasco de Gama (1502) : Lisbonne - Le Cap de Bonne Espérance - Afrique de l'Est - Inde (Kerala)

    Après un premier voyage vers l'Inde réalisé avec succès en 1497-1499, Vasco de Gama est envoyé une nouvelle fois en mission par la couronne portugaise vers ce pays avec une flotte de vingt navires. Il quitte Lisbonne en février 1502. Quinze bateaux doivent effectuer le voyage de retour et cinq (sous le commandement de l'oncle de Gama) doivent rester derrière pour protéger les bases portugaises en Inde et bloquer les bateaux quittant l'Inde pour la mer Rouge afin de couper le commerce entre ces deux régions. De Gama double le Cap en juin et fait escale en Afrique de l'Est à Sofala pour acheter de l'or |11|. A Kilwa, il force le souverain local à accepter de payer un tribut annuel de perles et d'or et il cingle vers l'Inde. Il attend au large de Cannanora (à 70 km au Nord de Calicut -aujourd'hui Kozhikode) les navires arabes au retour de la mer Rouge. Il s'empare d'un bateau qui rentre de la Mecque avec des pèlerins et une cargaison de valeur. Une partie de la cargaison est saisie et le bateau incendié. La plupart de ses passagers et de son équipage périssent. Il fait ensuite relâche à Cannanora où il échange des présents (il offre de l'or et reçoit des pierres précieuses) avec le souverain local, mais il ne fait pas d'affaires car il juge le prix des épices trop élevé. Il fait voile vers Cochin (aujourd'hui Kochi), arrête ses navires en face de Calicut et demande que le souverain expulse toute la communauté des négociants musulmans (4 000 ménages) qui utilisent le port comme base pour commercer avec la mer Rouge. Devant le refus du Samudri, souverain local hindou, Vasco de Gama fait bombarder la ville comme l'a déjà fait en 1500 Pedro Cabral, un autre navigateur portugais. Il s'embarque pour Cochin au début de novembre, où il achète des épices en échange de l'argent, du cuivre et des textiles volés au navire qu'il a fait couler. Un comptoir permanent est établi à Cochin et cinq navires y sont laissés pour protéger les intérêts portugais. Avant qu'elle ne quitte l'Inde pour rentrer au Portugal, la flotte de De Gama est attaquée par plus de trente navires financés par les négociants musulmans de Calicut. Ils sont mis en déroute après un bombardement portugais. En conséquence, une partie de la communauté commerçante des musulmans de Calicut décide d'aller baser ses opérations ailleurs. Ces batailles navales montrent clairement la violence et le caractère criminel de l'action de Vasco de Gama et de la flotte portugaise. De Gama rentra à Lisbonne en octobre 1503, avec treize de ses navires et près de 1 700 tonnes d'épices, soit une quantité à peu près égale à celle que Venise faisait venir chaque année du Moyen–Orient à la fin du 15e siècle. Les marges portugaises sur ce commerce sont bien plus importantes que celles des Vénitiens. La plus grande partie des épices est écoulée en Europe via Anvers, le principal port des Pays–Bas espagnols et aussi, à cette époque, le port européen le plus important.

    Les expéditions maritimes chinoises au 15e siècle

    Les Européens n'étaient pas les seuls à faire de longs voyages et à découvrir de nouvelles routes maritimes mais, manifestement, ils étaient les plus agressifs et les plus conquérants. Plusieurs dizaines d'années avant Vasco de Gama, entre 1405 et 1433, sept expéditions chinoises prennent la direction de l'Ouest et visitent notamment l'Indonésie, le Vietnam, la Malaisie, l'Inde, le Sri Lanka, la Péninsule arabique (le détroit d'Ormuz et la mer Rouge), les côtes orientales de l'Afrique (notamment Mogadiscio et Malindi). Sous le règne de l'empereur Yongle, la marine Ming « comptait approximativement 3 800 navires au total, dont 1 350 patrouilleurs et 1 350 navires de combat rattachés aux postes de garde ou aux bases insulaires, une flotte principale de 400 gros navires de guerre stationnés près de Nankin et 400 navires de charge pour le transport des céréales. Il y avait en outre plus de 250 navires–trésor à grand rayon d'action » |12|. Ils étaient cinq fois plus gros que n'importe lequel des navires de De Gama, avec 120 mètres de long et près de 50 mètres de large. Les gros navires avaient au moins 15 compartiments étanches, de sorte qu'un bâtiment endommagé ne coulait pas et pouvait être réparé en mer. Leurs intentions étaient pacifiques mais leur force militaire était suffisamment imposante pour parer efficacement aux attaques, ce qui ne se produisit qu'à trois occasions. La première expédition avait pour destination les Indes et leurs épices. Les autres avaient pour mission d'explorer la côte orientale de l'Afrique, la mer Rouge et le golfe Persique. Le but premier de ces voyages était d'établir de bonnes relations en offrant des cadeaux et en escortant des ambassadeurs ou des souverains qui se rendaient en Chine ou en partaient. Aucune tentative ne fut faite pour établir des bases à des fins commerciales ou militaires. Les Chinois recherchaient de nouvelles plantes pour les besoins de la médecine et l'une des missions avait emmené avec elle 180 membres de la profession médicale. Par contraste, lors du premier voyage de Vasco de Gama vers l'Inde, son équipage se composait de 160 hommes environ, dont des artilleurs, des musiciens et trois interprètes arabes. Après 1433, les Chinois abandonnent leurs expéditions maritimes au long cours et donnent la priorité au développement interne.

    En 1500, des niveaux de vie comparables

    Quand les puissances d'Europe occidentale se lancent à la conquête du reste du monde à la fin du 15e siècle, le niveau de vie et le degré de développement des Européens n'étaient pas supérieurs à d'autres grandes régions du monde. La Chine devançait incontestablement l'Europe occidentale en bien des points : conditions de vie des habitants, niveau scientifique, travaux publics |13|, qualité des techniques agricoles et manufacturières. L'Inde était plus ou moins à égalité avec l'Europe notamment du point de vue des conditions de vie de ses habitants et de la qualité de ses produits manufacturés (ses textiles et son fer étaient de meilleure qualité que les produits européens) |14|. La civilisation inca dans les Andes en Amérique du Sud et celle des Aztèques au Mexique étaient également très avancées et florissantes. Il faut être très prudent quand il s'agit de définir des critères de développement et éviter de se limiter au calcul du produit intérieur brut par habitant. L'espérance de vie, l'accès à l'eau potable, la sécurité d'existence, la qualité de la santé, le respect des différences, la relation homme/femme, les mécanismes de solidarité collective constituent dans leur ensemble des critères de comparaison plus importants que le PIB per capita. Ceci dit, même si on s'en tient à ce dernier critère et qu'on y ajoute l'espérance de vie et la qualité de l'alimentation, les Européens ne vivaient pas mieux que les peuples d'autres grandes régions du monde avant de se lancer à leur conquête.

    Le commerce intra asiatique avant l'irruption des puissances européennes

    En 1500, la population de l'Asie était cinq fois plus importante que celle de l'Europe occidentale. La population indienne à elle seule représentait le double de la population de l'Europe occidentale |15|. La région représentait donc un très vaste marché avec un réseau de négociants asiatiques opérant entre l'Afrique orientale et les Indes, et entre les Indes orientales et l'Indonésie. A l'Est du détroit de Malacca, le commerce était dominé par la Chine. Les négociants asiatiques connaissaient bien la direction saisonnière des vents et les problèmes de navigation dans l'océan Indien. Les navigateurs expérimentés étaient nombreux dans la région, ils avaient à leur disposition un ensemble d'études scientifiques sur l'astronomie et la navigation. Leurs instruments de navigation n'avaient pas grand chose à envier aux instruments portugais. De l'Afrique orientale à Malacca (dans le mince détroit séparant Sumatra de la Malaisie), le commerce asiatique était réalisé par des communautés de marchands qui menaient leurs activités sans navires armés ni ingérence marquée des gouvernements. Les choses changèrent radicalement avec les méthodes employées par les Portugais, les Hollandais, les Anglais et les Français au service de leur Etat et des marchands. Les expéditions maritimes lancées par les puissances européennes vers différentes parties de l'Asie augmentèrent considérablement comme le montre le tableau ci-dessous (tiré de Maddison, 2001). Il indique clairement que le Portugal était sans aucun doute possible la puissance européenne dominante en Asie au cours du 16e siècle. Il a été remplacé au siècle suivant par les Hollandais, lesquels sont restés dominants au cours du 18e siècle, les Anglais occupant la seconde position.

    Tableau 2. Nombre de navires envoyés en Asie par sept pays européens, 1500–1800

                                   1500-99           1600-1700        1701-1800

    Portugal                705                     371                 196

      Pays-Bas              65(a)                1.770                2.950

      Angleterre                                      811                1.865

          France                                             155                1.300     

     Autres Pays                                      54                  350

    (a) année 1590

    Sources : Portugal 1500-1800 données tirées de Magalhies Oodinho dans Bruijn et Oaastra (1993), pp. 7 et 17; autres données tirées de Bruijn et Gaastra (1993), pp. 178 et 183. "Les autres pays désignent les bateaux des compagnies de commerces danoises et suédoises et de la compagnie d'Ostende.

    La Grande Bretagne rejoint les autres puissances européennes dans la conquête du monde
    « Au 16e siècle, les principales activités de l'Angleterre en dehors de l'Europe étaient la piraterie et les voyages de reconnaissance en vue d'étudier les possibilités de créer un empire colonial. Le coup le plus hardi fut le soutien royal apporté à l'expédition de Drake (1577–80) qui, avec cinq navires et 116 hommes, contourna le détroit de Magellan, saisit et pilla les navires espagnols chargés de trésors au large des côtes chiliennes et péruviennes, établit des contacts utiles dans les îles aux épices des Moluques, à Java, au Cap de Bonne–Espérance et en Guinée lors du retour » |16|. A la fin du 16e siècle, la Grande-Bretagne marque un coup décisif pour affirmer définitivement sa puissance maritime en infligeant une défaite navale à l'Espagne au large des côtes britanniques. A partir de ce moment, elle se lance à la conquête du Nouveau monde et de l'Asie. Dans le Nouveau Monde, elle crée des colonies sucrières aux Antilles et, à partir des années 1620, elle participe activement au trafic des esclaves importés d'Afrique. Simultanément, elle installe entre 1607 et 1713 quinze colonies de peuplement en Amérique du Nord dont treize finissent par proclamer leur indépendance pour devenir en 1776 les États–Unis, les deux autres resteront dans le giron britannique et feront partie du Canada. En Asie, la couronne britannique adopte une autre politique : plutôt que de recourir à la création de colonies de peuplement, elle instaure un système de colonies d'exploitation en commençant par l'Inde. A cet effet, l'Etat britannique donne sa protection à la Compagnie des Indes orientales en 1600 (une association de marchands qui est en concurrence avec d'autres regroupements du même type en Grande Bretagne). En 1702, la Compagnie des Indes orientales obtient de l'Etat le monopole du commerce et se lance à la conquête des Indes qui aboutit à la victoire à la bataille de Plassey en 1757 ce qui lui permet de prendre le contrôle du Bengale. Pendant un peu plus de deux siècles, la Grande-Bretagne applique une politique économique protectionniste pure et dure puis, une fois devenue la puissance économique dominante dans le courant du 19e siècle, elle impose une politique impérialiste libre–échangiste. Par exemple, elle impose à coups de canon à la Chine la « liberté du commerce » afin de forcer les Chinois à acheter l'opium indien et de permettre aux Britanniques d'acquérir, avec le produit de la vente de l'opium, du thé chinois pour le revendre sur le marché européen. Par ailleurs elle étend ses conquêtes en Asie (Birmanie, Malaisie), en Australasie (Australie, Nouvelle-Zélande...), en Afrique du Nord (Egypte), au Proche Orient... Au niveau de l'Afrique subsaharienne jusqu'au 19e siècle, le commerce des esclaves est son seul grand domaine d'intérêt. Ensuite, elle se lance à sa conquête.

    Goa : une enclave portugaise en Inde
    En Inde comme en d'autres endroits d'Asie, les Anglais ont été devancés par les Portugais qui ont conquis des petits morceaux de territoire indien. Ils y ont installé des comptoirs commerciaux et ont instauré le terrorisme religieux. C'est ainsi qu'à Goa est créé en 1560 le tribunal de l'Inquisition. Il sévira jusque 1812. En 1567, toutes les cérémonies hindouistes ont été bannies. En un peu plus de deux siècles, 16 000 jugements furent émis à Goa par le tribunal de l'Inquisition et des milliers d'Indiens périrent brûlés vifs sur le bûcher.

    La conquête des Indes par les Britanniques
    Les Britanniques, au cours de la conquête de l'Inde, ont expulsé les autres concurrents européens, Hollandais et Français. Ces derniers étaient pourtant décidés à s'imposer et ont failli réussir. Leur échec au milieu du 18e siècle au cours de la guerre de 7 ans qui les a opposés aux Britanniques est principalement dû à l'insuffisance du soutien apporté par l'Etat français |17|.

    Pour prendre le contrôle de l'Inde, les Anglais ont systématiquement cherché des alliés parmi les classes dominantes et les seigneurs locaux. Ils n'ont pas hésité, quand cela leur semblait nécessaire, à utiliser la force comme lors de la bataille de Plassey en 1757 ou lors de la violente répression de la révolte des Cipayes en 1859. Ils ont mis à leur service les structures locales du pouvoir et la plupart du temps, ils ont laissé en place les seigneurs en leur permettant de continuer à mener une vie ostentatoire tout en leur imposant les règles du jeu (ils ne disposaient d'aucun pouvoir réel face aux Britanniques). La division de la société en castes a été maintenue et même renforcée, ce qui pèse d'un poids terrible sur l'Inde d'aujourd'hui. En effet, s'ajoute à la division de la société en classes et à la domination du sexe masculin sur les femmes une division en castes basée sur la naissance. Via la perception de l'impôt et le commerce inégal entre l'Inde et la Grande-Bretagne, le peuple indien a contribué à l'enrichissement de la Grande-Bretagne en tant que pays ainsi qu'à celui de ses classes riches (commerçants, industriels, personnel politique). Mais les Britanniques ne sont pas les seuls à s'être enrichis : les banquiers, les commerçants, les patrons de manufactures indiens ont accumulé également des fortune colossales. C'est grâce à cela que la Compagnie des Indes orientales (EIC) et l'Etat britannique ont pu maintenir si longtemps une domination qui pourtant suscitait au niveau du peuple un profond rejet.

    L'exemple de l'industrie cotonnière.

    Les textiles en coton produits en Inde étaient d'une qualité inégalée au niveau mondial. Les Britanniques ont essayé de copier les techniques indiennes de production et de produire chez eux des cotonnades de qualité comparable, mais le résultat a été pendant longtemps médiocre. Sous la pression notamment des propriétaires de manufactures textiles britanniques, le gouvernement de Londres a interdit l'exportation des cotonnades indiennes vers les territoires membres de l'empire britannique. Londres a également interdit à la Compagnie des Indes orientales de faire le commerce des cotonnades indiennes, en dehors de l'Empire. Ainsi la Grande-Bretagne a tenté de fermer tous les débouchés possibles pour les textiles indiens. Ce n'est que grâce à ces mesures que l'industrie britannique du coton a pu devenir véritablement rentable. Alors qu'aujourd'hui les Britanniques et les autres puissances les plus industrialisées utilisent systématiquement, dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce, les accords commerciaux relatifs au droit de propriété intellectuelle pour s'en prendre aux pays en développement comme l'Inde, il y a un peu moins de trois siècles, ils n'ont pas hésité à copier les méthodes de production et le design des Indiens notamment dans le domaine des cotonnades |18|. Par ailleurs, pour augmenter leurs profits et devenir plus compétitifs que l'industrie cotonnière indienne, les patrons britanniques des entreprises cotonnières ont été amenés à introduire de nouvelles techniques de production : utilisation de la machine à vapeur et de nouveaux métiers à filer et à tisser. En recourant à la force, les Britanniques ont transformé l'Inde de manière fondamentale. Alors que jusqu'à la fin du 18e siècle, l'économie indienne était exportatrice de produits manufacturés de haute qualité et qu'elle satisfaisait elle-même largement la demande du marché intérieur, elle a été envahie aux 19 et 20e siècles, par les produits manufacturés européens, britanniques en particulier. La Grande Bretagne a interdit à l'Inde d'exporter ses produits manufacturés, elle a forcé l'Inde à exporter de plus en plus d'opium en Chine au 19e siècle (comme elle a imposé militairement à la Chine d'acheter l'opium indien) et elle a inondé le marché indien de produits manufacturés britanniques. Bref, elle a produit le sous-développement de l'Inde.

    Dans la deuxième partie de cet article seront notamment abordés les famines coloniales, le commerce triangulaire, l'intervention de la BM, du FMI et de l'OMC, l'envers du miracle indien actuel et quelques pistes alternatives.

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    notes articles:

    |1| Cet article est une version augmentée de la conférence donnée par l'auteur au Kerala (Inde) le 24 janvier 2008 sous le titre « Impacts de la globalisation sur les paysans pauvres ». Les participants à cette conférence, en majorité des femmes issues des milieux ruraux, répondaient à l'invitation de l'association Santhigram et de VAK (membre du réseau CADTM international) dans le cadre de la semaine mondiale d'action globale lancée par le Forum social mondial.

    |2| Il faut y ajouter les Danois qui firent quelques conquêtes en mer Caraïbe, sans oublier au Nord, le Groenland (« découvert » plusieurs siècles avant). Pour mémoire, les Norvégiens avaient atteint le Groenland et le « Canada » bien avant le 15e siècle. Voir notamment le voyage de Leif Ericsson au début du 11e s. aux « Amériques » (où il se déplaça du Labrador vers l'extrémité septentrionale de Terre–Neuve), où s'établit une brève colonisation, longtemps oubliée, à l'Anse aux Meadows.

    |3| Le nom Amérique fait référence à Amerigo Vespucci, navigateur italien au service de la couronne espagnole. Les peuples indigènes des Andes (Quechuas, Aymaras, etc.) appellent leur continent Abya-Yala.

    |4| Parmi les ressources naturelles, il convient d'inclure les ressources biologiques nouvelles emportées par les Européens vers leurs pays, diffusées ensuite dans le reste de leurs conquêtes et puis au-delà. Il s'agit notamment du maïs, de la pomme de terre, des patates douces, du manioc, des piments, des tomates, des arachides, des ananas, du cacao et du tabac.

    |5| Les royautés espagnole et portugaise qui dominèrent pendant trois siècles l'Amérique du Sud, l'Amérique centrale et une partie de la Caraïbe, utilisèrent en tant que puissances catholiques l'appui du Pape pour perpétrer leurs crimes. Il faut ajouter que la couronne espagnole a expulsé fin du 15e siècle, les musulmans et les juifs (qui ne se convertissaient pas au christianisme) au cours et à la suite de la Reconquista (qui s'est achevée le 12 janvier 1492). Les Juifs qui se sont expatriés et n'ont pas renoncé à leur religion judaïque ont trouvé principalement refuge dans les pays musulmans au sein de l'empire ottoman très tolérant à l'égard des autres religions.

    |6| De ce point de vue, le message du pape Benoît XVI lors de son voyage en Amérique latine en 2007 est particulièrement injurieux envers la mémoire de peuples victimes de la domination européenne. En effet, loin de reconnaître les crimes commis par l'Eglise catholique à l'égard des populations indigènes des Amériques, Benoît XVI a prétendu que ceux-ci attendaient le message du Christ apporté par les Européens à partir du 15e siècle. Benoît XVI devrait répondre de ses propos devant la justice.

    |7| Les Européens ont notamment ramené d'Asie, au cours des temps, la production de textiles en soie, le coton, la technique du verre soufflé, la culture du riz et de la canne à sucre.

    |8| Notamment la fameuse route de la soie entre l'Europe et la Chine empruntée par le Vénitien Marco Polo à la fin du 13e siècle.

    |9| Officiellement Christophe Colomb cherchait à rejoindre l'Asie (notamment l'Inde) en prenant la direction de l'Ouest mais on sait qu'il espérait trouver des terres nouvelles inconnues des Européens

    |10| A partir du 16e siècle, l'utilisation de l'océan Atlantique pour se rendre d'Europe en Asie et aux Amériques allait marginaliser la Méditerranée pendant quatre siècles jusqu'à la percée du Canal de Suez. Alors que les principaux ports européens se trouvaient en Méditerranée jusqu'à la fin du 15e siècle (Venise et Gênes notamment), les ports européens ouverts sur l'océan Atlantique allaient progressivement prendre le dessus (Anvers, Londres, Amsterdam).

    |11| oir Eric Toussaint, La Finance contre les peuples. La Bourse ou la Vie, coédition CADTM-Syllepse-Cetim, Liège-Paris-Genève, 2004, chapitre 7. La première crise internationale de la dette survient à la fin du premier quart du 19e siècle en touchant simultanément l'Europe et les Amériques (elle est liée à la première crise mondiale de surproduction de marchandises). La deuxième crise internationale de la dette explose au cours du dernier quart du 19e siècle et ses répercussions affectent tous les continents.

    |12| Dans les villes côtières de l'Afrique de l'Est s'affairaient des marchands — Arabes, Indiens du Gujarat et de Malabar (= Kerala) et Perses — qui importaient des soieries et des cotonnades, des épices et de la porcelaine de Chine, et exportaient du coton, du bois d'oeuvre et de l'or. On y côtoyait aussi des pilotes de métier qui connaissaient bien les conditions de la mousson dans la mer Arabe et dans l'océan Indien.

    |13| Au 15e siècle, Pékin était reliée à ses zones d'approvisionnement en denrées alimentaires par le Grand canal qui mesurait 2 300 kilomètres et sur lequel naviguaient facilement des péniches grâce à un système ingénieux d'écluses.

    |14| La comparaison entre les produits intérieurs bruts européens par habitant et ceux du reste du monde fait l'objet de débats importants. Les estimations varient fortement selon les sources. Des auteurs aussi différents que Paul Bairoch, Fernand Braudel et Kenneth Pomeranz considèrent qu'en 1500, l'Europe n'avait pas un PIB par habitant supérieur à d'autres parties du monde comme l'Inde et la Chine. Maddison qui s'oppose radicalement à cette opinion (car il lui reproche de sous-estimer le développement de l'Europe occidentale) estime que le PIB per capita de l'Inde s'élevait en 1500 à 550 dollars (de 1990) et celui de l'Europe occidentale, à 750 dollars. Ce qu'on retiendra malgré les divergences entre ces auteurs, c'est qu'en 1500 avant que les puissances européennes ne partent à la conquête du reste du monde, leur PIB par capita, dans le meilleur des cas (celui proposé par Maddison), représentait entre 1,5 et 2 fois le PIB de l'Inde tandis que 500 ans plus tard, celui-ci est 10 fois plus important. Il est tout à fait raisonnable d'en déduire que l'utilisation de la violence et de l'extorsion par ces puissances européennes (rejointes plus tard par les Etats-Unis, le Canada, l'Australie et d'autres pays d'émigration européenne dominante) sont en bonne partie à la base de leur avantage économique présent. Le même raisonnement s'applique au Japon avec un décalage dans le temps car le Japon qui, entre 1500 et 1800, avait un PIB per capita inférieur à la Chine, ne s'est transformé en une puissance capitaliste agressive et conquérante qu'à la fin du 19e siècle. A partir de ce moment-là, la progression de son PIB per capita est fulgurante, il est multiplié par 30 entre 1870 et 2000 (si l'on en croit Maddison). C'est au cours de cette période qu'il marque vraiment la distance par rapport à la Chine

    |15| Voir Maddison, 2001, p. 260.

    |16| Voir Maddison, 2001, p. 110.

    |17| Voir Gunder Frank, 1977, p. 237-238.

    |18| Les Hollandais ont fait de même avec les techniques de production de la céramique chinoise qu'ils ont copiées et qu'ils présentent depuis comme la céramique, la faïence et la porcelaine bleue et blanche de Delft.

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