• Article de Henri STÖRM paru dans la revue "Frater News" n° 66 du 2e trimestre 1998.

    Lorsqu'on étudiait l'Histoire à l'école (?), le point de départ de notre Belgique se situait en 1830, en y ajoutant un peu de Nerviens, beaucoup d'histoire de France, un Ambiorix ou l'autre et le fameux mot de César : "De tous les peuples... gna, gna, gna..."

    Les Flamands situent la naissance de leur communauté à la bataille des Éperons d'Or, à laquelle de nombreux Namurois et de grands noms du Brabant wallon participèrent en leur donnant un sacré coup de mains.

    Ceux que l'on appelait les "fransquillons", les notables surtout de Gand et de Bruges, voulaient se démarquer du "petit peuple" en parlant un français bâtard et cependant tellement différent des multiples dialectes qui allaient, voici une centaine d'années, se marier pour adopter le néerlandais.

    Je vous propose ci-dessous "un peu d'histoire", extrait de "Carrefour" de mai 95, selon lequel, en toute objectivité, on peut mieux comprendre d'où viennent nos problèmes communautaires

    La source de nos maux, ce sont les Romains, qui envahirent toute la Gaule au 1er siècle avant Jésus-Christ.

    L'empire romain fut de plus en plus soumis à la pression des Germains, qui cherchaient non pas à le détruire, comme le suggéraient les manuels d'histoire scolaire traditionnelle, mais à profiter de sa richesse, de la paix qui y régna pendant les deux premiers siècles de notre ère et à s'abriter des poussées migratoires asiatiques des Huns. Pour réduire la pression et trouver en même temps les hommes nécessaires à la défense du territoire, les empereurs laissèrent entrer certaines tribus auxquelles ils confièrent de plus en plus la garde de la frontière rhénane.
    Très lentement (on parlait encore un latin abâtardi à Trêves au VIIIe siècle), la frontière entre la langue romane (français) et les langues germaniques (allemand et néerlandais) fut donc repoussée au sud et à l'ouest du Rhin, les nouveaux arrivants ne s'adaptant guère à la culture gallo-romaine.
    A la fin du Moyen Âge, alors que l'Allemagne s'émiettait dans un morcellement féodal et que le latin n'était plus compris que des intellectuels, les rois de France réunifiaient lentement leur royaume.
    La langue de la Cour supplanta les langues régionales chez les "gens biens" (nobles et bourgeois) y compris dans nos régions où le Comte de Flandre était le vassal des souverains français.

    L'annexion de la future Belgique à la France révolutionnaire et impériale (1794 - 1814) renforça l'importance du français, devenu seule langue officielle de nos régions.

    Placé par les vainqueurs de Bonaparte à la tête d'un royaume composé des territoires formant actuellement grosso modo le Benelux, le roi Guillaume 1er des Pays-Bas crut renforcer l'unité de l'État en imposant l'usage du néerlandais dans les provinces flamandes. Il ne réussit qu'à exacerber l'hostilité de la bourgeoisie francophone, mais aussi les craintes du très catholique peuple de Flandre (y compris Anvers et le Limbourg) envers la langue des protestants.

    En réaction, sitôt l'indépendance conquise, la Belgique adopta le français comme seule langue officielle. Rien d'étonnant, puisque le vote censitaire réservait le pouvoir politique à la noblesse et à la haute bourgeoisie. Les dialectes et patois flamands et wallons restaient les langues de la cuisine et de l'estaminet.

    Peu à peu, Bruxelles, bilingue depuis que les ducs de Bourgogne et leurs successeurs Habsbourg en avaient fait la capitale de nos régions, se francisa de plus en plus. Le français s'imposa rapidement aux dialectes wallons, qui en étaient proches. Dans les provinces flamandes par contre, l'unilinguisme officiel suscita une opposition croissante. Beaucoup d'écrivains s'exprimaient en français : Charles De Coster, Georges Rodenbach, André Van Hasselt, Émile Verhaeren, etc., mais certains utilisèrent le néerlandais, tel Hendrik Conscience, fils d'un officier français et d'une Flamande. Dans le "Leeuw van Vlaanderen", il chanta le passé glorieux de la Flandre jusqu'à la bataille des Éperons d' Or en 1302, et ce, malgré le fait que de nombreux Wallons combattirent dans les rangs flamands, mais en se gardant d'aller jusqu'à la bataille de Mons-en-Pévèle, trois ans plus tard, où les milices flamandes subirent une solide défaite.

    Ces simplifications imprégnées de romantisme nationaliste créèrent peu à peu une conscience flamande. Le contexte s'y prêtait : décimés par la dernière grande famine européenne (1846 - 1848), les Flamands commencèrent à rejeter la langue des patrons et des propriétaires dont les exigences étaient encore plus insupportables en ces temps de crise. Pour entreprendre des études, même secondaires, il fallait maîtriser le français. Des militaires étaient sanctionnés pour ne pas avoir exécuté correctement des ordres donnés dans une langue qu'ils ne comprenaient pas. Des justiciables étaient condamnés sans savoir vraiment de quoi on les accusait...

    Dès 1898, textes et inscriptions officiels devinrent bilingues d'Ostende à Arlon et d'Anvers à Charleroi. Très vite cependant, il apparut que ce bilinguisme ne résolvait pas tous les problèmes. Le néerlandais parlé par les officiers était tellement scolaire qu'il valait mieux user du français pour s'expliquer et surtout pour être compris ! Le francophone se rendant dans les provinces flamandes trouvait toujours des interlocuteurs capables de le comprendre et de lui répondre dans sa langue. L'inverse n'était pas vrai. Le Flamand qui allait travailler dans les mines ou la sidérurgie du sillon Sambre et Meuse devait apprendre le français (voire le wallon) pour communiquer avec les fonctionnaires, avec son patron, avec son propriétaire, avec son contremaître et même avec les autres ouvriers. Ses maladresses linguistiques en faisaient souvent la victime de quolibets, attitude wallonne sans doute déplorable mais renforcée par la réputation d'intégrisme religieux attribué à une Flandre, désormais confondue avec l'ensemble des provinces flamandes, restée très catholique. Quel parallélisme avec les problèmes soulevés par la présence des immigrés musulmans d'aujourd'hui !

    Le bilinguisme apparut donc aux Flamands comme un marché de dupes, car ils devaient toujours apprendre le français s'ils voulaient poursuivre des études supérieures, tandis que les francophones n'appréciaient guère l'obligation d'apprendre une langue dont ils n'avaient pas l'emploi et qu'ils maîtrisaient donc mal...
    C'est d'ailleurs un Wallon, Jules Destrée, qui en 1912, dans sa célèbre "Lettre au Roi" contesta violemment l'existence d'une nationalité belge. Dès lors, les revendications flamandes débordèrent du cadre purement linguistique. Il s'agissait d'obtenir une autonomie au moins culturelle. L'adoption du suffrage universel en 1893 permettait aux Flamands d'utiliser leur supériorité démographique pour imposer les réformes qu'ils souhaitaient. Mais la première guerre mondiale brisa le mouvement flamand : les activistes obtinrent de l'occupant la flamandisation de l'université de Gand et la création d'un symbolique "Raad van Vlaanderen" (aboli dès la fin du conflit). En plaçant leur haine de la Belgique avant toute autre considération, les activistes ne firent que freiner la réalisation des nouveaux objectifs du mouvement flamand, qui ne se concrétisèrent qu'à partir de 1930, quand l'université de Gand devint flamande.

    Le véritable tournant se situa en 1932, quand les nouvelles lois lièrent la langue officielle de chaque commune au volet linguistique joint alors au recensement décennal : on demandait à chaque citoyen quelle était sa langue usuelle et on déduisait du résultat quelle serait la langue officielle de la commune. On traçait ainsi une "frontière" linguistique mouvante, ci qui était, administrativement, impossible à gérer.

    Dans l'armée, la scission entre régiments francophones et flamands fut réalisée en 1938, chacun pouvant encore choisir la langue dans laquelle il effectuerait son service militaire. La Seconde Guerre mondiale suscita une collaboration beaucoup plus massive, dans l'espoir fou d'obtenir l'autonomie flamande dans la Grande Germanie. Ses tenants aiment à présent à se faire passer pour des "victimes" de la marâtre belge se situant sur le même plan que les vrais résistants à la vraie barbarie, celle des nazis et de leurs acolytes flamingants et rexistes. La cause flamande s'endormit de nouveau pour une dizaine d'années.

    Deux éléments de taille la réveillèrent. Tout d'abord, la question royale, divisant l'opinion "belge" entre 72 % de partisans de Léopold III en Flandre et 42 % en Wallonie. Ensuite, la 2e guerre scolaire, qui vit défiler à Bruxelles des partisans de l'école libre parmi lesquels 80 % de Flamands. Ainsi éclatait aux yeux de tous, une fracture dépassant le problème linguistique, remontant au XIXe siècle entre une Flandre à majorité catholique et conservatrice encore largement rurale et une Wallonie industrielle socialisante et urbanisée, sauf le Luxembourg belge.

    La crise de la sidérurgie et la fermeture des mines, combinées avec l'essor de la Flandre, développèrent en Wallonie une aspiration à l'autonomie économique au moment où la tache d'huile francophone révélée par le recensement dans la périphérie poussait 278 bourgmestres flamands à refuser d'encore organiser le recensement sur le territoire de leur commune tant que le volet linguistique n'en aurait pas été retiré.
    Les lois de 1962 et 1963 fixèrent donc la "frontière" linguistique, créant du même coup le problème fouronnais, problème provoqué par les socialistes à l'encontre des Fouronnais catholiques.

    En périphérie bruxelloise le sort des six communes à facilités ne fut fixé qu'en 1970, quand débuta le long processus de fédéralisation de la Belgique, qui en fait, ne fut voulue que par les politiciens. Cette fédéralisation, clôturée pour les uns en 1993 par les accords de la Saint Michel alors que d'autres ne la conçoivent que comme une étape sur la voie de l'autonomie complète de la Flandre qui amènerait comme situation de la Flandre dans l'Europe : 5 millions de Flamands coincés entre 60 millions de Français et 75 millions d'Allemands.

    De ce résumé très simplifié d'un siècle et demi d'histoire(s) belge(s), il ressort que les problèmes linguistiques devenus communautaires sont nés de réactions populaires divergentes à l'évolution politique, économique et sociale de la Belgique. Tout ce qui précède montre que le mouvement flamand a atteint ses objectifs grâce à son obstination et à sa vision à long terme. Il s'en prend maintenant à Bruxelles de plus en plus investie par les institutions flamandes et proclamée capitale de la Flandre, alors que le régionalisme wallon s'en désintéresse, et ce, malgré les recommandations d'analystes économiques et politiques distingués. Certains politiciens wallons rêvent d'une petite république socialiste basée sur des principes archaïques datant du siècle passé.

    Que sera la Belgique en 2010 ?

    Les pythonisses de mauvais augure diront qu'au lieu de deux Principautés et un Grand-duché, l'Europe future comportera un "Royaume flamand", une "République wallonne" et l' "International Settlement of Brussels".


    Quel gâchis !


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