• "Entre le faible et le fort, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit"
     
    Jean-Jacques ROUSSEAU, contrat social, 1797
     
     
    Injustice
     

    Aujourd'hui, dans le monde, un enfant de moins de 10 ans meurt de FAIM toutes les 5 secondes, soit :

    - 12 enfants toutes les minutes,

    - 720 / heure,

    - 17.280 / jour,

    - 6.311.520 / an

     

    ---> Regarder le discour de Jean ZIEGLER* sur le droit à l'alimentation devant l'assemblée de l'ONU en oct. 2009 : 

     

     
    * Jean ZIEGLER fût rapporteur spécial pour le droit à l'alimentation du Conseil des droits de l'homme de l'ONU de 2000 à mars 2008.
    Depuis 2009, il est vice-président du Comité consultatif du Conseil des droits de l'homme de l'ONU.
     
     
     
    "La petite voix..." du 01/12/2009
    Arc-en-ciel'ment vôtre
    Natalia & Romano
     

    1 commentaire
  • 4° trimestre 2009, début de la phase 5 de la crise systémique globale :

    La phase de dislocation géopolitique mondiale
     
    4° trimestre 2009 - Début de la phase 5 de la crise systémique globale : la phase de dislocation géopolitique mondiale
     
    Depuis Février 2006, LEAP/E2020 (Laboratoire Européen d'Anticipation Politique) avait estimé que la crise systémique globale se déroulerait selon 4 grandes phases structurantes, à savoir les phases de déclenchement, d'accélération, d'impact et de décantation. Ce processus a bien décrit les évènements jusqu'à aujourd'hui. Mais notre équipe estime dorénavant que l'incapacité des dirigeants mondiaux à prendre la mesure de la crise, caractérisée notamment par leur acharnement depuis plus d'un an à en traiter les conséquences au lieu de s'attaquer radicalement à ses causes, va faire entrer la crise systémique globale dans une cinquième phase à partir du 4° trimestre 2009 : la phase dite de dislocation géopolitique mondiale.

    Selon LEAP/E2020, cette nouvelle phase de la crise sera ainsi façonnée par deux phénomènes majeurs organisant les évènements en deux séquences parallèles, à savoir :

    A. Deux phénomènes majeurs :
    1. La disparition du socle financier (Dollars + Dettes) sur l'ensemble de la planète
    2. La fragmentation accélérée des intérêts des principaux acteurs du système global et des grands ensembles mondiaux

    B. Deux séquences parallèles :
    1. La décomposition rapide de l'ensemble du système international actuel
    2. La dislocation stratégique de grands acteurs globaux.

    Nous avions espéré que la phase de décantation permettrait aux dirigeants du monde entier de tirer les conséquences de l'effondrement du système qui organise la planète depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Hélas, à ce stade, il n'est plus vraiment permis d'être optimiste en la matière (1). Aux Etats-Unis comme en Europe, en Chine ou au Japon, les dirigeants persistent à faire comme si le système global en question était seulement victime d'une panne passagère et qu'il suffisait d'y ajouter quantité de carburants (liquidités) et autres ingrédients (baisse de taux, achats d'actifs toxiques, plans de relance des industries en quasi-faillite,...) pour faire repartir la machine. Or, et c'est bien le sens du terme de « crise systémique globale » créé par LEAP/E2020 dès Février 2006, le système global est désormais hors d'usage. Il faut en reconstruire un nouveau au lieu de s'acharner à sauver ce qui ne peut plus l'être.


    Evolution des commandes à l'industrie au cours du 4° trimestre 2008 (Japon, Etats-Unis, zone Euro, Royaume-Uni, Chine, Inde) - Sources : MarketOracle / JPMorgan
    Evolution des commandes à l'industrie au cours du 4° trimestre 2008 (Japon, Etats-Unis, zone Euro, Royaume-Uni, Chine, Inde) - Sources : MarketOracle / JPMorgan
     
    L'Histoire n'étant pas particulièrement patiente, cette cinquième phase de la crise va donc entamer ce processus de reconstruction mais de manière brutale, par la dislocation complète du système préexistant. Et les deux séquences parallèles, décrites dans ce GEAB N°32, qui vont organiser les évènements promettent d'être particulièrement tragiques pour plusieurs grands acteurs mondiaux.

    Selon LEAP/E2020, il ne reste plus qu'une toute petite fenêtre de tir pour tenter d'éviter le pire, à savoir les quatre mois à venir, d'ici l'été 2009. Très concrètement, le Sommet du G20 d'Avril 2009 constitue selon notre équipe la dernière chance pour réorienter de manière constructive les forces en action, c'est-à-dire avant que la séquence cessation de paiement du Royaume-uni, puis des Etats-Unis ne se mette en branle (2). Faute de quoi, ils perdront tout contrôle sur les évènements (3), y compris, pour nombre d'entre eux, dans leurs propres pays, tandis que la planète entrera dans cette phase de dislocation géopolitique à la manière d'un « bateau ivre ». A l'issue de cette phase de dislocation géopolitique, le monde risque de ressembler à l'Europe de 1913 plus qu'à la planète de 2007.

    Ainsi, à force de tenter de porter sur leurs épaules le poids toujours croissant de la crise en cours, la plupart des Etats concernés, y compris les plus puissants, ne se sont pas rendu compte qu'ils étaient en train d'organiser leur propre écrasement sous le poids de l'Histoire, oubliant qu'ils n'étaient que des constructions humaines, ne survivant que parce que l'intérêt du plus grand nombre s'y retrouvait. Dans ce numéro 32 du GEAB, LEAP/E2020 a donc choisi d'anticiper les conséquences de cette phase de dislocation géopolitique sur les Etats-Unis et l'UE.


    Evolution de la base monétaire des Etats-Unis - (12/2002 – 12/2008) - Source US Federal Reserve / DollarDaze
    Evolution de la base monétaire des Etats-Unis - (12/2002 – 12/2008) - Source US Federal Reserve / DollarDaze
     
    Il est donc temps pour les personnes comme pour les acteurs socio-économiques de se préparer à affronter une période très difficile qui va voir des pans entiers de nos sociétés telles qu'on les connaît être fortement affectés (4), voire tout simplement disparaître provisoirement ou même dans certains cas durablement. Ainsi, la rupture du système monétaire mondial au cours de l'été 2009 va non seulement entraîner un effondrement du Dollar US (et de la valeur de tous les actifs libellés en USD), mais il va aussi induire par contagion psychologique une perte de confiance généralisée dans les monnaies fiduciaires. C'est à tout cela que s'attachent les recommandations de ce GEAB N°32.

    Last but not least, notre équipe considère désormais que ce sont les entités politiques (5) les plus monolithiques, les plus « impériales », qui vont être les plus gravement bouleversées au cours de cette cinquième phase de la crise. La dislocation géopolitique va ainsi s'appliquer à des états qui vont connaître une véritable dislocation stratégique remettant en cause leur intégrité territoriale et l'ensemble de leurs zones d'influences dans le monde. D'autres états, en conséquence, seront projetés brutalement hors de situations protégées pour plonger dans des chaos régionaux.

    --------
    Notes:

    (1) Barack Obama comme Nicolas Sarkozy ou Gordon Brown passent leur temps à invoquer la dimension historique de la crise pour mieux cacher leur incompréhension de sa nature et tenter de se dédouaner à l'avance de l'échec de leurs politiques. Quant aux autres, ils préfèrent se persuader que tout cela se règlera comme un problème technique un peu plus grave que d'habitude. Et tout ce petit monde continue à jouer selon les règles qu'ils connaissent depuis des décennies, sans se rendre compte que le jeu est en train de disparaître sous leurs yeux.

    (2) Voir GEAB précédents.

    (3) En fait il est même probable que le G20 aura des difficultés croissantes à tout simplement pouvoir se réunir, sur fond de « chacun pour soi ».

    (4) Source : New York Times, 14/02/2009

    (5) Et cela nous paraît vrai également pour les entreprises.


     
    Laboratoire Européen d'Anticipation Politique (LEAP) :
     

     

    Arc-en-ciel'ment vôtre

    Natalia & Romano


    votre commentaire
  • Titre : Surplus, La Consommation Par La Terreur
    Réalisation : Erik Gandini
    Genre : Documentaire
    Année : 2003
    Durée : 51 min 

     Ironique et sans concessions, cet essai d'Erik Gandini en forme de collage virtuose réalisé autour du "gourou de l'antimondialisation", John Zerzan dénonce les dérives du libéralisme, la coercition médiatique et publicitaire, la course insensée au profit et le gâchis produit par la société de consommation. Ses paroles croisent ici celles de Berlusconi, Bush, Chirac, Poutine, Bill Gates et Fidel Castro, sur des images des manifestations de Gênes ou des dérives consuméristes (détritus, management, publicité...). Collage, manipulation des sons et des synchronisations, répétitions suggestives, montage incisif, musique dub et électro, slogans martelés... le film utilise les mêmes techniques que la publicité et les shows télévisés. Ironique à souhait, le documentaire interroge plus qu'il ne dénonce... Note: Le film a reçu le Silver Wolf Award, Festival international de documentaires d'Amsterdam

    Voir le documentaire "Surplus, La Consommation Par La Terreur" :

    http://video.google.fr/videosearch?q=surplus&emb=0&aq=f#

    Arc-en-ciel'ment vôtre

    Natalia & Romano

     


    votre commentaire
  • La nuit était noire, sans lune. Le vent soufflait à plus de 100 kilomètres à l'heure. Il faisait se lever des vagues de plus de 10 mètres qui, avec un fracas effroyable, s'abattaient sur la frêle embarcation de bois. Celle-ci était partie d'une crique de la côte de Mauritanie, dix jours auparavant, avec à son bord 101 réfugiés africains de la faim. Par un miracle inespéré, la tempête jeta la barque sur un récif de la plage d'El Medano, dans une petite île de l'archipel des Canaries. Au fond de la barque, les gardes civils espagnols trouvèrent les cadavres de trois adolescents et d'une femme, morts de faim et de soif.

    La même nuit, quelques kilomètres plus loin sur la plage d'El Hierro, un autre rafiot s'échoua : à son bord, 60 hommes, 17 enfants et 7 femmes, spectres titubants à la limite de l'agonie (1).

    A la même époque encore, mais en Méditerranée cette fois-ci, un autre drame se joue : à 150 kilomètres au sud de Malte, un avion d'observation de l'organisation Frontex repère un Zodiac surchargé de 53 passagers qui – probablement par suite d'une panne de moteur – dérive sur les flots agités. A bord du zodiac, les caméras de l'avion identifient des enfants en bas âge et des femmes. Revenu à sa base, à La Valette, le pilote en informe les autorités maltaises, qui refusent d'agir, prétextant que les naufragés dérivent dans la « zone de recherche et de secours libyenne ». La déléguée du Haut Commissariat des réfugiés des Nations unies Laura Boldini intervient, demandant aux Maltais de dépêcher un bateau de secours. Rien n'y fait. L'Europe ne bouge pas. On perd toute trace des naufragés.

    Quelques semaines auparavant, une embarcation où se pressaient une centaine de réfugiés africains de la faim, tentant de gagner les Canaries, avait sombré dans les flots au large du Sénégal. Il y eut deux survivants (2).

    Des milliers d'Africains, y compris des femmes et des enfants, campent devant les clôtures des enclaves espagnoles de Melilla et de Ceuta, dans le Rif aride. Sur injonction des commissaires de Bruxelles, les policiers marocains refoulent les Africains dans le Sahara (3). Sans provisions ni eau. Des centaines, peut-être des milliers d'entre eux périssent dans les rochers et les sables du désert (4).

    Combien de jeunes Africains quittent leur pays au péril de leur vie pour tenter de gagner l'Europe ? On estime que, chaque année, quelque 2 millions de personnes essaient d'entrer illégalement sur le territoire de l'Union européenne et que, sur ce nombre, environ 2 000 périssent en Méditerranée, et autant dans les flots de l'Atlantique. Leur objectif est d'atteindre les îles Canaries à partir de la Mauritanie ou du Sénégal, ou de franchir le détroit de Gibraltar au départ du Maroc.

    Selon le gouvernement espagnol, 47 685 migrants africains sont arrivés sur les côtes en 2006. Il faut y ajouter les 23 151 migrants qui ont débarqué sur les îles italiennes ou à Malte au départ de la Jamahiriya arabe libyenne ou de la Tunisie. D'autres essaient de gagner la Grèce en passant par la Turquie ou l'Egypte. Secrétaire général de la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, M. Markku Niskala commente : « Cette crise est complètement passée sous silence. Non seulement personne ne vient en aide à ces gens aux abois, mais il n'y a pas d'organisation qui établisse ne serait-ce que des statistiques rendant compte de cette tragédie quotidienne (5). »

    Pour défendre l'Europe contre ces migrants, l'Union européenne a mis sur pied une organisation militaire semi-clandestine qui porte le nom de Frontex. Cette agence gère les « frontières extérieures de l'Europe ».

    Elle dispose de navires rapides (et armés) d'interception en haute mer, d'hélicoptères de combat, d'une flotte d'avions de surveillance munis de caméras ultrasensibles et de vision nocturne, de radars, de satellites et de moyens sophistiqués de surveillance électronique à longue distance.

    Frontex maintient aussi sur sol africain des « camps d'accueil » où sont parqués les réfugiés de la faim, qui viennent d'Afrique centrale, orientale ou australe, du Tchad, de la République démocratique du Congo, du Burundi, du Cameroun, de l'Erythrée, du Malawi, du Zimbabwe... Souvent, ils cheminent à travers le continent durant un ou deux ans, vivant d'expédients, traversant les frontières et tentant de s'approcher progressivement d'une côte. Ils sont alors interceptés par les agents de Frontex ou leurs auxiliaires locaux qui les empêchent d'atteindre les ports de la Méditerranée ou de l'Atlantique. Vu les versements considérables en espèces opérés par Frontex aux dirigeants africains, peu d'entre eux refusent l'installation de ces camps. L'Algérie sauve l'honneur. Le président Abdelaziz Bouteflika dit : « Nous refusons ces camps. Nous ne serons pas les geôliers de nos frères. »

    Organiser la famine et criminaliser ceux qui la fuient

    La fuite des Africains par la mer est favorisée par une circonstance particulière : la destruction rapide des communautés de pêcheurs sur les côtes atlantique et méditerranéenne du continent. Quelques chiffres.

    Dans le monde, 35 millions de personnes vivent directement et exclusivement de la pêche, dont 9 millions en Afrique (6). Les poissons comptent pour 23,1 % de l'apport total de protéines animales en Asie, 19 % en Afrique ; 66 % de tous les poissons consommés sont pêchés en haute mer, 77 % en eaux intérieures ; l'élevage en aquaculture de poissons représente 27 % de la production mondiale. La gestion des stocks de poissons dont les déplacements s'effectuent tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des zones économiques nationales revêt donc une importance vitale pour l'emploi et la sécurité alimentaire des populations concernées.

    La plupart des Etats de l'Afrique subsaharienne sont surendettés. Ils vendent leurs droits de pêche à des entreprises industrielles du Japon, d'Europe, du Canada. Les bateaux-usines de ces dernières ravagent la richesse halieutique des communautés de pêcheurs jusque dans les eaux territoriales. Utilisant des filets à maillage étroit (interdits en principe), elles opèrent fréquemment en dehors des saisons où la pêche est autorisée. La plupart des gouvernements africains signataires de ces concessions ne possèdent pas de flotte de guerre. Ils n'ont aucun moyen pour faire respecter l'accord. La piraterie est reine. Les villages côtiers se meurent.

    Les bateaux-usines trient les poissons, les transforment en surgelés, en farine ou en conserves, et expédient du bateau aux marchés. Exemple : la Guinée-Bissau, dont la zone économique abrite un formidable patrimoine halieutique. Aujourd'hui, pour survivre, les Bissagos, vieux peuple pêcheur, sont réduits à acheter sur le marché de Bissau – au prix fort – des conserves de poisson danoises, canadiennes, portugaises.

    Plongés dans la misère, le désespoir, désarmés face aux prédateurs, les pêcheurs ruinés vendent à bas prix leurs barques à des passeurs mafieux ou s'improvisent passeurs eux-mêmes. Construites pour la pêche côtière dans les eaux territoriales, ces barques sont généralement inaptes à la navigation en haute mer.

    Et encore... Un peu moins d'un milliard d'êtres humains vivent en Afrique. Entre 1972 et 2002, le nombre d'Africains gravement et en permanence sous-alimentés a augmenté de 81 à 203 millions. Les raisons sont multiples. La principale est due à la politique agricole commune (PAC) de l'Union européenne.

    Les Etats industrialisés de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ont payé à leurs agriculteurs et éleveurs, en 2006, plus de 350 milliards de dollars au titre de subventions à la production et à l'exportation. L'Union européenne, en particulier, pratique le dumping agricole avec un cynisme sans faille. Résultat : la destruction systématique des agricultures vivrières africaines.

    Prenons l'exemple de la Sandaga, le plus grand marché de biens de consommation courante de l'Afrique de l'Ouest. La Sandaga est un univers bruyant, coloré, odorant, merveilleux, situé au cœur de Dakar. On peut y acheter, selon les saisons, des légumes et des fruits portugais, français, espagnols, italiens, grecs, etc. – au tiers ou à la moitié du prix des produits autochtones équivalents.

    Quelques kilomètres plus loin, sous un soleil brûlant, le paysan wolof, avec ses enfants, sa femme, travaille jusqu'à quinze heures par jour... et n'a pas la moindre chance d'acquérir un minimum vital décent.

    Sur 52 pays africains, 37 sont des pays presque purement agricoles.

    Peu d'êtres humains sur terre travaillent autant et dans des conditions aussi difficiles que les paysans wolof du Sénégal, bambara du Mali, mossi du Burkina ou bashi du Kivu. La politique du dumping agricole européen détruit leur vie et celle de leurs enfants.

    Revenons à Frontex. L'hypocrisie des commissaires de Bruxelles est détestable : d'une part, ils organisent la famine en Afrique ; de l'autre, ils criminalisent les réfugiés de la faim.

    Aminata Traoré résume la situation : « Les moyens humains, financiers et technologiques que l'Europe des Vingt-Cinq déploie contre les flux migratoires africains sont, en fait, ceux d'une guerre en bonne et due forme entre cette puissance mondiale et de jeunes Africains ruraux et urbains sans défense, dont les droits à l'éducation, à l'information économique, au travail et à l'alimentation sont bafoués dans leurs pays d'origine sous ajustement structurel. Victimes de décisions et de choix macroéconomiques dont ils ne sont nullement responsables, ils sont chassés, traqués et humiliés lorsqu'ils tentent de chercher une issue dans l'émigration. Les morts, les blessés et les handicapés des événements sanglants de Ceuta et de Melilla, en 2005, ainsi que les milliers de corps sans vie qui échouent tous les mois sur les plages de Mauritanie, des îles Canaries, de Lampedusa ou d'ailleurs, sont autant de naufragés de l'émigration forcée et criminalisée (7).  »

    Jean Ziegler.

    1) Cf. El País, Madrid, 13 mai 2007 ; la nuit est celle du 11 au 12 mai.

    (2) Le Courrier, Genève, 10 décembre 2006.

    (3) Le 28 septembre 2005, des soldats espagnols ont tué cinq jeunes Africains qui tentaient d'escalader la clôture électrifiée entourant l'enclave de Ceuta. Huit jours plus tard, six autres jeunes Noirs étaient abattus dans des circonstances similaires.

    (4) Human Rights Watch, 13 octobre 2005.

    (5) La Tribune de Genève, 14 décembre 2006. NDLR : voir cependant le travail réalisé sur cette question par United et Migreurop : « Des morts par milliers aux portes de l'Europe ».

    (6) Ce chiffre exclut les personnes employées dans l'aquaculture. Cf. Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), La situation mondiale des pêches et de l'aquaculture, Rome, 2007.

    (7) Aminata Traoré, intervention au Forum social mondial, Nairobi, 20 janvier 2007.

    http://www.monde-diplomatique.fr/2008/03/ZIEGLER/15658

    Arc-en-ciel'ment vôtre

    Romano


    2 commentaires
  • L'époque de la croissance occidentale illimitée et sans concurrence autorisée par l'abondance de l'énergie à bon marché est terminée. Le pouvoir appartiendra désormais aux pays producteurs, et les nations sans ressources vont engager une lutte sans merci pour se garantir un approvisionnement devenu insuffisant pour satisfaire aux besoins de tous. Bienvenue dans le nouveau monde, le nôtre.

    Par Michael Klare, Tom Dispatch, 15 avril 2008

     

    Le pétrole à 110 dollars le baril. L'essence à 3,35 dollars (ou plus) le gallon. Le diesel à 4 dollars le gallon. Les camionneurs indépendants contraints de cesser leur activité. Le fuel domestique atteignant des niveaux de prix exorbitants. Le kérosène tellement cher que trois compagnies aériennes à bas coût ont interrompu leurs vols au cours des dernières semaines. Ce sont là quelques informations récentes sur le front de l'énergie, qui donnent un avant-goût des changements profonds dans la façon dont chacun d'entre nous vivra, aussi bien dans ce pays que partout ailleurs dans le monde. Et cette tendance ne fera, pour autant que quiconque puisse le prédire, que s'accentuer au fur et à mesure que diminuera l'approvisionnement en énergie et que s'intensifiera la lutte mondiale pour sa répartition.

    Toutes sortes d'énergies étaient très abondantes jadis, et c'est ce qui a rendu possible l'expansion de l'économie mondiale au cours des six dernières décennies. Cette expansion a au premier chef bénéficié aux États-Unis ainsi qu'au « premier monde » de ses alliés en Europe et dans le Pacifique. Récemment, cependant, quelques pays appartenant à l'ancien « Tiers Monde » - la Chine et l'Inde, en particulier - ont voulu profiter de cette manne énergétique en industrialisant leurs économies et en exportant un large éventail de produits vers les marchés internationaux. Ce qui à son tour a entraîné une augmentation sans précédent de la consommation mondiale d'énergie - en progression de 47% durant ces 20 dernières années, selon le Département de l'Energie américain (DoE).

    Une augmentation de cette nature ne serait pas devenue une source d'inquiétude profonde si les pays fournisseurs d'énergie primaire avaient été capables de produire la quantité de carburant nécessaire. Mais loin de là, nous faisons face à une réalité effrayante : nous assistons à un net ralentissement de la croissance de la production mondiale d'énergie au moment même ou la demande augmente de façon abrupte. L'offre ne disparaît pas réellement - bien que cela se produira tôt ou tard - mais elle ne croit pas suffisamment vite pour répondre à la flambée de la demande mondiale.

     La combinaison entre l'augmentation de la demande, l'émergence de nouvelles puissances consommatrices d'énergie et la contraction de l'offre énergétique mondiale anéantit le monde d'énergie abondante que nous connaissions et installe à sa place un nouvel ordre mondial que l'on pourrait définir par ce couple : puissances émergentes / planète rétrécie.

    Ce nouvel ordre mondial sera caractérisé par une concurrence internationale féroce autour de stocks de pétrole, de gaz naturel, de charbon et d'uranium qui iront diminuant. Il sera également marqué par une redistribution majeure tant des pouvoir que de la richesse entre des nations déficitaires en énergie comme le sont la Chine, le Japon et les États-Unis et celles qui sont excédentaires comme la Russie, l'Arabie saoudite et le Venezuela. Dans ce processus, la vie de chacun d'entre nous sera affectée d'une manière ou d'une autre. Les consommateurs les plus pauvres tout comme ceux de la classe moyenne appartenant aux nations déficitaires en énergies subiront les plus lourdes conséquences. Cela concerne donc la plupart d'entre nous et de nos enfants, au cas où vous ne l'auriez pas encore perçu.

    Voici résumées les cinq forces principales agissantes au sein de ce nouvel ordre international qui va redéfinir notre monde :

    1. La concurrence intense entre anciens et nouveaux pouvoirs économiques pour les approvisionnements en ressources disponibles d'énergie

    Jusqu'à très récemment, les anciennes puissances industrielles d'Europe, d'Asie et d'Amérique du Nord consommaient la part du lion de l'énergie et ne laissaient que des miettes aux pays en développement. A une date aussi récente que l'année 1990, les membres de l'Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE), le club des pays les plus riches, consommaient environ 57% de l'énergie mondiale, l'Union Soviétique et les pays du Pacte de Varsovie 14%, et il ne restait que 29 % pour les pays en développement. Mais cette répartition est en train de changer : En raison de leur forte croissance économique, les pays émergents consomment désormais une plus grande partie des ressource mondiales d'énergie. En 2010, leur part devrait atteindre 40%, et si les tendances actuelles persistent, elle atteindra 47% d'ici à 2030.

    La Chine joue un rôle crucial dans cette évolution. A eux seuls, les chinois devraient consommer 17% de l'énergie mondiale d'ici à 2015, et 20% d'ici à 2025 - date à laquelle, si les tendances se poursuivent, ils auront dépassé les États-Unis en tant que leader mondial de la consommation d'énergie. La part de l'Inde, qui en 2004 représentait 3,4% du total mondial, devrait atteindre 4,4% en 2025, et selon les projections, la consommation d'autres nations en voie d'industrialisation rapide comme le Brésil, l'Indonésie, la Malaisie, la Thaïlande et la Turquie connaîtra une croissance semblable.

    Ces puissances économiques montantes devront rivaliser avec les puissances économiques installées pour accéder aux réserves inexploitées d'énergie exportable restantes - qui dans bien des cas, ont été acquises il y a fort longtemps par les entreprises énergétiques du secteur privé des anciennes puissances comme Exxon Mobil, Chevron, BP, Total, et la Royal Dutch Shell. Face à cette contrainte, les nouveaux concurrents ont développé une stratégie ambitieuse pour soutenir la concurrence avec les « majors » de l'Occident : ils ont créé leurs propres entreprises étatiques et conclu des alliances stratégiques avec les compagnies pétrolières nationales qui contrôlent maintenant les réserves de pétrole et de gaz dans nombre des principaux pays producteurs d'énergie.

    La compagnie chinoise Sinopec, par exemple, a noué une alliance stratégique avec l'entreprise saoudienne Aramco, le géant nationalisé qui était autrefois la propriété de Chevron et Exxon Mobil, pour explorer les gisements de gaz naturel en Arabie Saoudite et vendre le brut saoudien en Chine. De la même façon, la China National Petroleum Corporation (CNPC) collaborera avec Gazprom, la compagnie d'état russe qui a le monopole sur le gaz naturel, afin de construire des pipelines et de livrer le gaz russe vers la Chine. Plusieurs de ces entreprises détenues par l'état, y compris la CNPC et la Oil and Natural Gas Corporation Indienne, sont maintenant sur le point de collaborer avec la Petróleos de Venezuela dans le développement des champs pétrolifères de bruts extra-lourds de la ceinture de l'Orénoque, précédemment contrôlée par Chevron. Dans cette nouvelle phase de la concurrence énergétique, les positions dont jouissaient depuis longtemps les majors occidentales ont été érodées par cette vague de nouveaux projets soutenus par les états des pays en développement.

    2. L'insuffisance de l'approvisionnement en énergie primaire

    La capacité de l'industrie mondiale de l'énergie à satisfaire la demande diminue. Selon toutes les prévisions, l'offre mondiale de pétrole augmentera peut-être durant cinq ans, avant d'atteindre un pic puis de commencer à décliner. Les productions de gaz naturel, de charbon et d'uranium vont probablement continuer à se développer durant une décennie ou deux avant de d'atteindre elles aussi un sommet et d'entamer leur inévitable déclin. Dans l'intervalle la production mondiale de ces ressources se révélera incapable d'atteindre les niveaux élevés de la demande.

    Voyons ce qu'il en est pour le pétrole. Le Département Américain de l'Energie affirme que la demande mondiale de pétrole devrait atteindre 117,6 millions de barils par jour en 2030, et sera satisfaite par une offre qui - miracle parmi les miracles - atteindrait exactement 117,7 millions de barils au même moment (y compris les carburants liquides produits à partir de substances comme le gaz naturel et les sables bitumineux du Canada). La plupart des professionnels de l'énergie considèrent cependant cette estimation hautement irréaliste. « Une centaine de millions de barils est maintenant à mes yeux, une vision optimiste », a déclaré de façon significative le PDG de Total, Christophe de Margerie, lors d'une conférence sur le pétrole qui s'est tenue à Londres en octobre 2007. « Ce n'est pas mon avis personnel, c'est le point de vue de l'industrie, ou celui de ceux qui préfèrent s'exprimer clairement, honnêtement, et n'essayent pas seulement d'être complaisants. »

    De façon semblable, les auteurs du Rapport sur le Pétrole à Moyen Terme, publié en juillet 2007 par l'Agence Internationale de l'Energie, un organisme affilié à l'OCDE, ont conclu que la production mondiale de pétrole pourrait atteindre 96 millions de barils par jour d'ici 2012, mais n'a que peu de chances d'atteindre un niveau sensiblement supérieur, car l'absence de nouvelles découvertes rend toute croissance future impossible.

    Les titres de la presse économique font état d'un maelstrom de tendances conflictuelles : la demande mondiale va continuer de croître à mesure que des centaines de millions de consommateurs chinois et indiens nouvellement enrichis se mettront sur les rangs pour acquérir leur première voiture (certaines sont vendues aussi peu cher que 2500 dollars). Les principaux champs pétroliers géants et déjà anciens, comme Ghawar en Arabie saoudite et Canterell au Mexique, sont déjà sur le déclin ou devraient l'être bientôt, et le taux de nouvelles découvertes de champs pétrolifères chute année après année. Il faut donc s'attendre à ce que la pénurie mondiale d'énergie et les prix élevés soient une source constante de difficultés.

    3. Le développement douloureusement lent des énergies alternatives

    Pour les décideurs politiques, il est depuis longtemps évident que de nouvelles sources d'énergie sont absolument nécessaires pour compenser la disparition prévue des combustibles existants, ainsi que pour ralentir l'accumulation des gaz à effet de serre dans l'atmosphère qui sont responsables du changement climatique. De fait, l'éolien et l'énergie solaire ont atteint un niveau significatif dans certaines régions du monde. D'autres solutions énergétiques innovantes ont déjà été élaborées et même testées dans les laboratoires universitaires et les entreprises. Mais ces solutions, qui ne contribuent aujourd'hui que pour un très faible pourcentage de la production énergétique mondiale, ne connaissent pas un développement assez rapide pour prévenir les multiples catastrophes énergétiques mondiales qui s'annoncent.

    Selon le Département de l'Énergie des USA, les énergies renouvelables, notamment l'éolien, l'énergie solaire et l'énergie hydraulique (ainsi que les sources « traditionnelles » comme le bois de chauffage et le fumier), n'ont fourni que 7,4% de la consommation mondiale en 2004 ; la part supplémentaire des biocarburants s'élève à 0,3%. Dans le même temps, les combustibles fossiles - pétrole, charbon et gaz naturel - ont fourni 86% des ressources énergétiques, et enfin le nucléaire y a contribué à hauteur de 6%. Se fondant sur les taux actuels de développement et d'investissement, le DoE a établi une projection peu encourageante : En 2030, les combustibles fossiles continueront de représenter exactement le même pourcentage de l'énergie mondiale qu'en 2004. L'accroissement prévisible de la part des énergies renouvelables et des biocarburants est si réduite - à peine 8,1% - qu'elle en est quasiment dénuée de signification.

    En termes de réchauffement de la planète, les répercutions sont tout simplement catastrophiques : la dépendance accrue à l'égard du charbon (en particulier en Chine, en Inde et aux États-Unis) signifie que les émissions mondiales de dioxyde de carbone devraient augmenter de 59% au cours du prochain quart de siècle, passant de 26,9 milliards de tonnes à 42,9 milliards de tonnes. La conclusion est évidente. Si ces chiffres sont atteints, il n'y a aucun espoir d'éviter les pires effets du changement climatique.

    Pour ce qui est de l'approvisionnement mondial en énergie, les implications sont presque aussi catastrophiques. Pour parvenir à satisfaire l'envol de la demande énergétique, nous aurions besoin d'un afflux massif de carburants de substitution, ce qui signifierait aussi un investissement massif - de l'ordre de plusieurs milliers de milliards de dollars - pour permettre de faire passer rapidement les nouvelles technologies du stade du laboratoire à celui de la production industrielle sur une grande échelle. Mais aussi déplorable que cela soit, rien de tel n'est prévu. En revanche, les grandes entreprises du secteur de l'énergie (soutenues par le gouvernement américain à coup de somptueuses subventions et d'abattements fiscaux) mobilisent leurs méga-profits nés de la hausse des tarifs de l'énergie dans les projets fort coûteux (et écologiquement contestables) d'extraction du pétrole et du gaz de l'Alaska et de l'Arctique, ou pour effectuer des forages difficiles et coûteux en eaux profondes dans le golfe du Mexique et l'océan Atlantique. Le résultat ? Quelques barils de pétrole et quelques mètres cubes de gaz naturel supplémentaires à des prix exorbitants (accompagnés de dommages écologiques), au moment même où les énergies alternatives non fossiles progressent à une allure déplorable.

    4. Le transfert à un rythme soutenu de la puissance et de la richesse des nations déficitaires en énergie en direction des nations excédentaires

    Il y a peu de pays - une dizaine, peut-être, au total - disposant d'assez de pétrole, de gaz, de charbon et d'uranium (ou d'un mixte de ceux-ci) pour répondre à leurs propres besoins énergétiques et fournir d'importants excédents pour l'exportation. De toute évidence, ces nations seront en mesure d'obtenir des conditions de plus en plus avantageuses du nombre croissant de celles qui souffrent d'un déficit d'énergie et dépendront d'elles pour cette fourniture vitale. Ces nouvelles règles, essentiellement de nature financière, se traduiront par une augmentation des montagnes de pétrodollars accumulées par les principaux producteurs de pétrole, mais contraindront aussi à des concessions politiques et militaires.

    En ce qui concerne le pétrole et le gaz naturel, les nations disposant d'un surplus d'énergie important se comptent sur les deux mains. Dix Etats riches en pétrole possèdent 82,2% des réserves mondiales prouvées. Par ordre d'importance, ce sont : Arabie saoudite, Iran, Irak, Koweït, Emirats Arabes Unis, Venezuela, Russie, Libye, Kazakhstan et Nigéria. La possession de gaz naturel est encore plus concentrée. De façon surprenante, trois pays seulement, c'est à dire la Russie, l'Iran et le Qatar, détiennent 55,8% de l'approvisionnement mondial. Ces nations sont dans la position enviable de bénéficier de l'augmentation spectaculaire des prix mondiaux de l'énergie et d'obtenir de leurs clients potentiels toutes concessions politiques qu'ils jugeront importantes.

    Le transfert des richesses à lui seul a déjà atteint un niveau ahurissant. Les pays exportateurs de pétrole ont reçu un total estimé à 970 milliards de dollars en provenance des pays importateurs en 2006, et cette somme, lorsqu'elle sera établie pour 2007, devrait être encore bien plus élevée. Une fraction substantielle de ces dollars, de ces yens et de ces euros ont été placés dans les « fonds souverains » (SWF), ces fonds de placement géants appartenant aux pays pétroliers qui sont utilisés aux fins d'acquérir des investissements rentables de par le monde. Au cours des derniers mois, les fonds souverains du golfe Persique ont tiré profit de la crise financière aux États-Unis pour se rendre acquéreurs d'importantes participations dans les secteurs stratégiques de l'économie américaine. En novembre 2007, par exemple, l'Abu Dhabi Investment Authority (ADIA) a acquis une participation de 7,5 milliards de dollars dans Citigroup, la première banque américaine. En janvier dernier, Citigroup avait cédé une participation encore plus importante, d'une valeur de 12,5 milliards de dollars, à la Kuwait Investment Authority (KIA ) associée à plusieurs autres investisseurs du Moyen-Orient, dont le prince Walid Ben Talal de l'Arabie saoudite. Les responsables de KIA et d'ADIA insistent sur le fait qu'ils n'ont pas l'intention d'utiliser leurs participations dans Citigroup ou les banques et sociétés américaines pour influer sur l'économie des États-Unis ou leur politique étrangère. Mais il est difficile de penser qu'une évolution financière de cette ampleur, qui ne pourra que se renforcer dans les décennies à venir, ne se traduise pas par une certaine forme d'influence politique.

    Dans le cas de la Russie, qui a ressuscité des cendres de l'Union soviétique pour redevenir la première superpuissance énergétique, elle dispose déjà de cette capacité. La Russie est aujourd'hui le premier fournisseur mondial de gaz naturel, le deuxième plus grand fournisseur de pétrole et l'un des principaux producteurs de charbon et d'uranium. Alors que de nombreuses entreprises du secteur avaient été brièvement privatisées sous le règne de Boris Eltsine, le président Vladimir Poutine a ramené la plupart d'entre elles sous le contrôle de l'Etat - par des moyens légaux extrêmement discutables dans certains cas. Il a ensuite utilisé la puissance de ces entreprises pour se livrer à des campagnes de corruption ou de contrainte visant les anciennes républiques soviétiques à la périphérie de la Russie, qui dépendent d'elle pour la majeure partie de leurs fournitures de pétrole et de gaz. Les pays de l'Union européenne se sont parfois déclarés consternés par les tactiques de Poutine, mais ils dépendent également de l'approvisionnement en énergie de la Russie, et ont appris à taire leurs critiques pour amadouer la puissance montante russe en Eurasie. On peut considérer que l'exemple de la Russie fournit un modèle de ce nouvel ordre énergétique mondial qui se dessine aujourd'hui.

    5. Un risque croissant de conflit

    Historiquement, les grands bouleversements de l'équilibre des pouvoir se sont en général accompagnés de violences - et parfois de bouleversements violents prolongés. Soit les états à l'apogée de leur puissance ont lutté pour prévenir la perte de leur statut privilégié, soit leurs challengers ont lutté pour renverser ceux qui se trouvaient au sommet. Cela va-t-il se reproduire aujourd'hui ? Les états affligés d'un déficit énergétique vont-ils lancer des campagnes pour arracher les réserves pétrolières et gazières des états qui contrôlent les surplus ? (La guerre menée en Irak par l'administration Bush, pourrait se définir comme une tentative de ce type). Les états déficitaires en énergie vont-ils tenter d'éliminer des concurrents parmi leurs rivaux atteints du même problème ?

    Les coûts élevés et les risques associés à la guerre moderne sont évidents et le sentiment largement répandu est que ces problèmes d'énergie pourraient être mieux résolus par des moyens économiques et non militaires. Néanmoins, les grandes puissances emploient déjà des moyens militaires dans leurs efforts déployés pour prendre l'avantage dans cette lutte mondiale pour l'énergie, et nul ne devrait s'abuser sur cette question. Ces efforts pourraient aisément conduire à une escalade involontaire et au conflit.

    L'une des preuves évidentes de l'utilisation des moyens militaires dans cette recherche de l'énergie est fournie par les livraisons d'armes et le soutien militaire que procurent les grands états importateurs d'énergie en direction de leurs principaux fournisseurs. Les États-Unis et la Chine, par exemple, ont accru leurs livraisons d'armes et de matériel aux États producteurs de pétrole en Afrique en Angola, au Nigéria et au Soudan, ainsi que dans le bassin de la mer Caspienne, en Azerbaïdjan, au Kazakhstan et au Kirghizistan. Les États-Unis ont en particulier déployés des efforts pour lutter contre l'insurrection armée dans la région vitale du delta du Niger au Nigéria, la région d'où provient la plus grande partie du pétrole produit dans le pays ; Beijing procède elle aussi à des livraisons d'armes vers le Soudan, où les exploitations pétrolières dirigées par les chinois sont menacées par les insurrections qui ont lieu dans le Sud du pays et au Darfour.

    La Russie utilisent également ces livraisons d'armes comme l'un des instruments parmi les moyens qu'elle déploie pour gagner en influence dans les régions majeures de production pétrolière et gazière que sont les bassin de la mer Caspienne et le golfe Persique. Elle tente non pas de se procurer l'énergie pour son propre usage, mais de dominer les flux d'énergie destinés à d'autres. En particulier, Moscou cherche à obtenir pour Gazprom le monopole sur le transport du gaz en provenance d'Asie centrale vers l'Europe grâce à son vaste réseau d'oléoducs. Elle veut également profiter des énormes gisements de gaz de l'Iran, qui renforceraient encore davantage le contrôle qu'elle exerce sur le commerce de gaz naturel.

    Le danger, bien sûr, tient au fait que de telles collaborations, qui se multiplient au fil du temps, ne provoquent des courses aux armements régionales, exacerbent les tensions et accroissent le danger d'implication des grandes puissances dans les conflits qui éclatent localement. L'histoire montre de trop nombreux exemples de telles erreurs de calcul aboutissant à des guerres qui échappent à tout contrôle, comme ce fut le cas durant les années précédant la Première Guerre mondiale. De fait, aujourd'hui l'Asie centrale et la Caspienne avec leurs multiples désordres ethniques et les rivalités entre grandes puissances, présentent plus d'une ressemblance avec les Balkans dans les années qui ont précédé 1914.

    Tout ceci conduit à tirer une conclusion simple, mais qu'il faut méditer : il s'agit de la fin du monde tel que vous l'avons connu. Dans le nouveau monde ayant l'énergie pour centre de gravité dans lequel nous sommes tous désormais entrés, le prix du pétrole va dominer nos vies et la puissance sera aux mains de ceux qui contrôlent sa distribution au plan mondial.

    Dans ce nouvel ordre du monde, l'énergie régira chaque jour nos vies selon de nouveaux modes. Elle déterminera à quel moment et à quelles fins nous utiliserons nos voitures ; à quel niveau, haut ou bas, nous réglerons nos thermostats ; vers quels lieux, quand, et même si nous voyagerons ; les aliments que nous mangerons en dépendrons de plus en plus (étant donné que le prix de la production et de la distribution de nombreuses viandes et des légumes est profondément affecté par le coût du pétrole ou le développement de la culture du maïs pour la production d'éthanol) ; pour certains d'entre nous, cela déterminera où nous vivrons, pour d'autres, le type d'activité que nous entreprendrons ; pour nous tous, quand et dans quelles circonstances nous ferons la guerre ou éviterons les dépendances envers l'étranger qui pourraient nous entraîner vers la guerre.

    Une dernière observation : la décision la plus pressante qui attend le prochain président et le Congrès pourrait être : comment faire pour accélérer au mieux la transition des énergies fossiles vers un système basé sur les énergies alternatives respectueuses du climat.

    Michael Klare est l'auteur de Resource Wars et de Blood and Oil. Il est professeur au Hampshire College où il enseigne sur les questions de sécurité mondiale et de la paix. Son dernier ouvrage, Rising Powers, Shrinking Planet : The New Geopolitic of Energy, vient de paraître. Une brève vidéo de Klare débattant des grandes questions qui y sont abordées peut être consultée ici


    Publication originale Tom Dispatch, traduction Contre Info (http://contreinfo.info/)

    Illustration : champs de pétrole en flammes - Koweit 1991



     
    Du même auteur :
     

    Arc-en-ciel'ment vôtre

    Romano

     

    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique